Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/323

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Le pronom démonstratif est employé avec le même isolement. « Celui, quand tout va s’éteindre ou choir, le dernier[1]. » Très fréquent le cela isolé, qui met dans la phrase écrite ce qu’est à la parole une inflexion du doigt indicateur : « Une volonté, à l’insu, qui dure une vie, jusqu’à l’éclat multiple, — penser, cela[2]. » « Péremptoire, certain et immédiat, cela[3]. »

Ce n’est sans doute pas encore à quelque souvenir de l’anglais qu’il faut rapporter l’emploi de un qui : « Livré au fait ignoble contre un qui veut s’y soustraire[4] ». Il était usité au xvie siècle. Je trouve dans le cinquantième sonnet de la Delie de Maurice Scève, qui fut un peu le Mallarmé de son temps.

Persévérant en l’obstination
D’un qui se veut recouvrer en sa perte.

Voici l’adjectif quel ! exclamatif, presque vidé de son sens pronominal : « Les appartements indiquant l’intimité de notre siècle, louches, quels ! prétentieux. »

IV. — Dans la prose comme dans les vers de Mallarmé, l’effacement ou la suppression (marqués déjà chez les Goncourt) du verbe, sont rendus nécessaires par la conception même, anti-oratoire, de la phrase. Regardant d’une fenêtre un Allemand qui en écoutait un autre, Chateaubriand disait : « Il attend le verbe ! » Il semble que le lecteur de Mallarmé n’ait pas à attendre le verbe, mais à le fournir. Les mots, nous l’avons vu, inclinés vers leur sens substantif, sont détournés de leur sens verbal.

Ainsi le verbe figurera dans les propositions subordonnées plutôt que dans la principale. « Un coup d’œil, le dernier, à une chevelure où fume, puis éclaire de

  1. Divagations, p. 120.
  2. Divagations, p. 253.
  3. Divagations, p. 346.
  4. Villiers, p. 20.