Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/326

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qui marche sur la corde raide. « Devient évanescent[1] » est un lourd pléonasme, et

Une ivresse belle m’engage…
De porter debout ce salut

un pur solécisme.

V. — Adverbes, prépositions, sont, comme l’auxiliaire, et pour les mêmes raisons, soustraits à leur fonction de liaison pour faire figure de mots indépendants. « Les imaginations furent inouïes et la solitude qu’avec il se composa[2]. »

« En tant que » a un sens particulier et fournit à Mallarmé une de ses tournures favorites. Il est une sorte de signe d’égalité, d’équivalence, d’analogie, très souple. « Elle fonctionne (la machine du théâtre) en tant que les salons annuels de Peinture ou de Sculpture, quand chôme l’engrenage théâtral[3]. »

De même « selon » au sens de : en fonction, en harmonie, en suite.

Que se dévêt, pli selon pli, la pierre veuve.

(Remémoration.)

« Le jour, selon un rayon, puis d’autres, perd l’ennui[4]. »

VI. — Deux petits mots qui jouent chez Mallarmé un rôle particulièrement curieux, ce sont « et » et « ni ».

On peut, je crois, discerner dans notre « et » un sens faible, celui de conjonction, simple, et un sens fort, analogue au sens latin, celui de « et bien plus ». M. Brunot remarque qu’au xvie siècle on trouve encore le nom placé entre deux adjectifs ; il cite ces exemples de Montaigne : « Se relascher à cette molle

  1. Divagations, p. 256.
  2. Villiers, p. 60.
  3. Divagations, p. 162.
  4. Divagations, p. 59.