Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/361

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telle disposition de page, telles ampleurs environnantes de blanc.

Alors pourrait-on renoncer à ce va-et-vient monotone, d’une ligne à la suivante, par lequel nous continuons machinalement nous-mêmes le travail de l’ouvrier, et figurer au lecteur la souplesse spontanée et vivante du rêve par « une notation fragmentée » que raccordera son initiative : système que tente Un Coup de Dés. On proposerait à ce lecteur « un solitaire tacite concert » plus étroit, mais plus significatif que le vrai concert. « Aucun moyen mental exaltant la symphonie ne manquera, raréfié et c’est tout, du fait de la pensée. » Symphonie, donc, de pensée, aux motifs qui s’entre-croisent et se distinguent par leur place, symphonie qui tiendrait compte, chez le lecteur, de tout son sens visuel, comme la symphonie musicale tient compte de toute la délicatesse de son ouïe. Ainsi « le livre, expansion totale de la lettre, doit tirer d’elle, directement, une mobilité et gracieux, par correspondances, instituer un jeu, on ne sait, qui confirme la fiction[1] ». (Évoquons toujours, en sourdine, le motif du ballet.)

Quant à ces plis, toujours les mêmes et qu’il faut, pour lire le livre, sacrifier sous un couteau barbare, ils figurent grossièrement ce que serait le pliage vrai, tel qu’il est incorporé à l’essence pure du Livre. Ce pliage vrai scellerait ensemble les pages qui en tel moment ou pour tel lecteur, ne doivent encore ou ne doivent plus s’ouvrir. Un livre ainsi pourrait, selon le visage que l’on en veut dévoiler être parcouru d’une vue d’ensemble, ou bien être pénétré successivement dans tous ses recoins, dans toutes les chapelles qui s’ouvrent aux murs de ses pages titulaires. Et des moyens matériels, ingénieux et logiques, interviendraient : « Un jet de grandeur, de pensée ou d’émoi » entre ses motifs adjacents, — tout ce que réalise Un Coup de Dés.

Cela est présenté avec ce sourire doux et léger du

  1. Divagations, p. 376.