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448 LA POÉSIE DE STÉPHANE MALLARMÉ

Le développement de M. André Gide, s’il est en har- monie avec celui do contemporains, et si, mieux qu’au- cun, il dessine dans une campagne normande une belle courbe do lumière et d’eau, sympathise aussi avec celui de Mallarmé, beaucoup plus qu’il n’en procède. Tandis que l’existence de Mallarmé pose un problème litté- raire, celle de Gide pose un problème moral. Tandis que la méditation du problème littéraire élève, par sa forme seule, Mallarmé à une dignité, à une hau- teur morale de héros, la réflexion sur le problème moral semble chez Gide former docilement sa nature d’artiste. Le point de départ devient point d’arrivée, et inverse- ment. « Il y a au Louvre, dit M. Remy de Gourmont, une Andromède, ivoire de Cellini. C’est une femme effarée, toute sa chair troublée par l’effroi d’être liée : où fuir ? et c’est la poésie de Stéphane Mallarmé. » Fuite hors du réel, tandis que celle de Gide serait, selon lui-même, hors de la contrainte morale et de l’abstrac- tion vers le réel. Mais, dit-il dans une lettre, « Mallarmé sans doute m’enseigna à reporter l’idée de contrainte, si indispensable à ma nature, toute dans l’œuvre d’art et dans une sorte d’obligation artistique ». La question sociale est une question morale : c’est le titre d’un livre allemand. La question morale est une question sociale, répondent les socialistes. Retenons de même que la ques- tion d’art est une question morale, la question morale une question d’art, et qu’au-dessus d’un certain degré d’intensité et de pureté ni l’une ni l’autre ne vivent séparément.

S’il est arbitraire ou délicat d’apercevoir çà et là, sous prétexte de similitude, une influence mallarméenne, peut-être approchera-t-on mieux de quelque vérité en «’arrêtant à ceux qui furent manifestement et de leur aveu, en plus constant rapport avec Mallarmé. Et un favorable hasard veut que les deux écrivains mis le mieux dans ce cas fassent l’un avec l’autre une antithèse fort nette : je songe à M. Camille Mauclair et à M. Paul Valéry.