Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/461

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

la parole vulgaire et de la lettre écrite, la littérature parlée du journal, du roman, du théâtre, lui paraissaient un scandale analogue au mélange, que légitimaient les jésuites, de la dévotion et de la vie mondaine. Mallarmé, sous son urbanité souriante, pense à part lui qu’il n’y a pas encore de littérature, comme Saint-Cyran déclare à M. Vincent scandalisé qu’il n’y a plus d’Eglise. Il se met face à face avec le fait nu du langage, comme le janséniste se met face à face avec le fait nu de la religion. Non sans doute ici rapprochements arbitraires, analogies de hasard, mais pareil souci français de netteté, de pureté, de source, pareille volonté tendue, sur un ordre de conscience, hors des voies fréquentées et faciles, défiance cartésienne du troupeau humain, confiance cartésienne en une force de raison.

Sans contradiction, se fondent en lui ce courant de préciosité, ce courant de purisme littéraire et moral ; — sans plus de contradiction que dans cette première période du xviiie siècle, château d’eau de l’énergie, de l’intelligence et du goût français.

Relier Mallarmé à de tels précèdent ne sera peut-être toléré que si les explications, les restrictions viennent vite. Cet art de gravité et de tension qui fut le sien a été appelé, est encore communément appelé un art de décadence. Dans quelle mesure est-ce vrai ?

Je ne referai pas le pénétrant article de Remy de Gourmont sur Stéphane Mallarmé et l’idée de ’décadence. Je crois pourtant qu’il faut tenir compte de cette idée, de la persistance avec laquelle elle a rôdé, bien avant les symbolistes, autour du romantisme. Aux Grotesques de Gautier le classique Nisard oppose cette satire rétrospective que sont les Poètes latins de la décadence. Mais c’est la poésie de Baudelaire qui a fait naître dans la critique ce mot, cette idée, ce lieu commun.

Or il est frappant que tout cet écrin d’épithètes, tout cet ordre de pensées vite banales que provoqua le livre de Baudelaire, se retrouvent, bien plus justifiés semble-t-il, autour de Mallarmé. Baudelaire, contre le roman-