Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/468

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Pensons sur lui ce qu’il dit de Rimbaud : « Il ne faut jamais négliger, en idée, aucune des possibilités qui volent autour d’une figure, elles appartiennent à l’original, même contre la vraisemblance, y plaçant un fond légendaire momentané, avant que cela se dissipe tout à fait [1] ». Et toute réalité, surtout un homme, n’est-elle pas prétexte à rêver le possible qu’elle manqua ?

Lui-même a pris soin de figurer autour de lui, dans ses « Divagations » sur le théâtre et sur le livre, ce nuage de possibilité. Un Mallarmé idéal serait chez nous cette synthèse de poésie et d’intelligence dont fut deux fois seulement approché le modèle, avec Platon et avec Goethe. Une œuvre de lui à la fois réaliserait une essence, ferait connaître un vers, un poème, un livre, comme une disposition éternelle, qui ne pouvait être autrement, et notre émotion ne laisserait aucune place à la conscience ou au soupçon d’un hasard. Je ne puis le faire entrevoir qu’en marquant les lignes par où l’approche comme furtivement le Mallarmé réel.

Alors m’éveillerais-je à la ferveur première,
Droit et seul, sous un flot antique de lumière,
Lys! et l’un de vous tous par l’ingénuité.

Ces vers expriment-ils autre chose que l’Idée même du vers ? En même temps qu’ils tiennent aux paroles du faune, ne rendent-ils pas, par leur musique et par leur sens, le Yers nu, en soi, non pas des vers, — le Vers. Comme « la danseuse n’est pas une femme... mais une métaphore résumant un des aspects élémentaires de notre forme, glaive, coupe, fleur, etc.. » le dernier vers ne figure- pas le lys, ne figure pas le faune, mais une métaphore qui résume dans son jaillissement droit la notion élémentaire du vers. De même et plus épurée encore, retour et contraire, dans la vie nue, de la géométrie nue, la flûte fait

  1. Divagations, p 90.