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LE DÉCASYLLABE ROMAN ET SA FORTUNE EN EUROPE


On notera, ainsi qu’il le fait remarquer, le nombre infime de ces six exemples irréductibles comparés au chiffre de plus de 9, 000 vers que comportent les Idylls of the King et l’on conviendra que dans la pratique le triolet métrique est infiniment rare. Ce qui est plus significatif, c’est l’attitude actuelle des métriciens anglais et leur refus d’admettre les caractères traditionnels du décasyllabe anglais. Au cours de ces cinquante dernières années tous s’accordent pour le définir comme « un pentamètre ïambique » (1). Une pareille désignation constitue une erreur historique, mais elle marque bien le changement de principe que nous venons de signaler dans la conception du « heroic line » qu elle fait entièrement dépendre de l’accentuation.

Le décasyllabe rimé, à quelques rares exceptions près (telles que les Sonnets from the Portuguese de Mrs E. B. Browning) est resté bien plus régulier que le vers blanc. Toutefois, lui aussi a évolué sous les auspices de l’école romantique. S’il reste un peu raide et guindé chez G. Grabbe, à la fin du xviii’^ siècle, il s’assouplit bientôt en d’autres mains. D’une part, il revêt les formes les plus variées de la strophe avec Wordsworth, Lord Byron et Goleridge ; de l’autre, il brise le cadre étroit du couplet héroïque avec la Lamia de Keats et l’Epipsychidion de Shelley, apprenant à enjamber avec grâce d’un distique au suivant et ne faisant de la finale rimée qu’un moyen de marquer l’achèvement de la mesure, et non la conclusion monotone d’une phrase de même longueur que la précédente. Ici le vers le plus uniforme tend à la liberté d’allure du vers blanc. Par contre, le vers blanc, dans l’art délicat de Lord Tennyson, cherche à rappeler la cadence et la régularité de son rival. Si l’on étudie les chants lyriques insérés dans le poème de La Princesse et composés de décasyllabes sans rimes, on remarquera l’habileté avec laquelle l’auteur ménage une forte coupe après la dixième syllabe et le retour d’expressions et de consonnances données qui partagent le morceau en stances. Il produit ainsi sur l’oreille un effet de scansion précise et de rythme

(1) Voir, par ex., les définitions données par deux métriciens récents : A. Spiers, Treatise on English Versification, 1874, p. 34 : « lambics of five feet called the Heroic measure, form the principal mètre in the language. » A. Elwall, Nouvelle Prosodie Anglaise, p. 29 : « Elle (la mesure héroïque) est composée de cinq ïambes. »