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ii. — rivalen et blancheflor

Pourtant, elle ne le laissa pas encore aller, car elle sentait son cœur surpris par l’amour de lui. Incertain de ce qu’elle avait voulu dire, G 775-6.*|| Kanelangrès reprit :

— « Dame, ordonnez vous-même ce que je dois faire et j’obéirai.

Blancheflor répondit :

G 780-2.« À aucun prix je ne ferai accord avec vous, tant que je n’aurai pas vu comment vous vous y prendrez pour amender le tort causé. »

G 783-96.Alors Kanelangrès prit son congé et voulut s’éloigner d’elle ; mais la jeune fille soupira du fond du cœur et lui dit : « Ah ! que le roi céleste vous protège ! »

Kanelangrès pousse son cheval et s’éloigne, et tombe en des pensers divers. Il cherche ce que signifie ce reproche, « et ce salut (G) et ce soupir ; mais plus il y songe, moins il peut le comprendre. *|| Tout le jour il se travailla pour découvrir la pensée de la jeune fille, et toute la nuit, couché dans son lit, il y pensa encore, en sorte qu’il ne put trouver ni sommeil

    meilleur ami que vous avez fait tort. » Elle veut dire son cœur, mais Rivalen entend, comme il est tout naturel, qu’il a dû commettre quelque faute pendant le tournoi à l’encontre d’un chevalier ami de Blancheflor. Ce propos est donc maladroit ; il est clair qu’il met Rivalen sur une fausse piste et qu’il détruit le sens, le mystère et l’intention du reproche de Blancheflor. D’autre part le texte de S que j’ai adopté, ne semble guère plus satisfaisant. Comment Blancheflor peut-elle laisser entendre que tous ceux qui l’entourent, sauf Kanelangrès, ont déjà surpris le secret de son amour ? Le propos serait contraire à sa pudeur, et d’ailleurs la suite du récit montre que son amour reste ignoré de presque toute la cour. — Peut-être peut-on proposer l’explication que voici : Blancheflor, on l’a vu, est naïvement persuadée que toutes les femmes présentes au tournoi ont été enchantées, comme elle-même, par les sortilèges de Kanelangrès. Elle peut donc dire que toutes elles savent qu’un manquement a été commis à leur égard.