Page:Thoreau - Walden, 1922.djvu/102

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L’homme solitaire, loué à la journée dans quelque ferme aux abords de Concord, qui, pourvu de sa seconde naissance[1] et d’une expérience religieuse à lui, se trouve amené, comme il le croit, à la gravité silencieuse et à l’exclusivisme par sa foi, peut penser que ce n’est pas vrai ; mais Zoroastre, il y a des milliers d’années, suivit la même voie et acquit la même expérience ; or lui, en sa qualité de sage, connut qu’elle était universelle, sur quoi il traita ses voisins en conséquence, et passe même pour avoir inventé et établi le culte parmi les hommes. Qu’il confère donc humblement avec Zoroastre, puis, en passant par l’influence libéralisante de tous les hommes illustres, avec Jésus-Christ Lui-même, et laisse « notre Église » tomber par-dessus bord.

Nous nous vantons d’appartenir au XIXe siècle, et faisons les enjambées les plus rapides qu’aucune nation ait faites. Mais réfléchissez au peu que fait ce village-ci pour sa propre culture. Je ne désire ni flatter mes concitoyens, ni me voir flatté par eux, car cela n’avancera pas plus l’un que les autres. Nous avons besoin qu’on nous provoque, – qu’on nous aiguillonne, comme des bœufs, que nous sommes, pour être mis au trot. Nous possédons un système comparativement décent d’écoles communes, écoles pour enfants en bas âge seulement ; mais sauf en hiver le lycée à demi mort de faim, et récemment le timide début d’une bibliothèque inspirée par l’État, aucune école pour nous-mêmes. Nous dépensons plus pour presque n’importe quel article d’alimentation destiné à faire la joie sinon la douleur de notre ventre que pour notre alimentation mentale. Il est temps que nous ayons des écoles non communes, que nous ne renoncions pas à notre éducation lorsque nous commençons à devenir hommes et femmes. Il est temps que les villages soient des universités, et les aînés de leurs habitants les « fellows »[2] d’universités, avec loisir – s’ils sont en effet si bien à leur affaire – de poursuivre des études libérales le reste de leur vie. Le monde à jamais se bornera-t-il à un Paris ou un Oxford ? Ne se peut-il faire que des étudiants prennent pension ici et reçoivent une éducation libérale sous le ciel de Concord ? Ne pouvons-nous prendre à gages quelque Abélard pour nous faire des cours ? Hélas, tant à nourrir le bétail qu’à garder la boutique on nous tient trop longtemps loin de l’école, et notre éducation se voit tristement négligée. En ce pays-ci, le village devrait à certains égards prendre la place du noble d’Europe. Il devrait être le patron des beaux-arts. Il est assez riche. Il ne lui manque que la magnanimité et le raffinement. Il peut dépenser l’argent nécessaire à telles choses

  1. Jean, Évangile, ch. III.
  2. On appelle « fellow » dans les universités anglaises, celui qui, ses études terminées, consent à rester l’un des familiers de son collège.