Page:Thoreau - Walden, 1922.djvu/234

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Lexington à ma hutte s’enquérir de son chien, qui avait laissé une grande trace et toute une semaine avait chassé seul. Mais je crains qu’il n’ait guère tiré de lumière de tout ce que je lui dis, car chaque fois que j’essayais de répondre à ses questions il m’interrompait pour me demander : « Qu’est-ce que vous faites ici ? » Il avait perdu un chien, mais trouvé un homme.

Certain vieux chasseur à langue sèche, qui avait coutume de venir se baigner une fois l’an dans Walden quand l’eau était la plus chaude, et en telle occurrence entrait me dire bonjour, me conta qu’il y a un certain nombre d’années il prit son fusil un après-midi et partit en expédition dans le Bois de Walden ; comme il suivait la route de Wayland il entendit aboyer des chiens qui se rapprochaient, et un renard ne tarda pas à sauter du mur sur la route, pour, rapide comme la pensée, sauter de la route par-dessus l’autre mur, sans que sa balle prompte l’eût touché. À quelque distance derrière venaient une vieille chienne de chasse et ses trois petits en pleine poursuite, chassant pour leur propre compte, et qui redisparurent dans les bois. Tard dans l’après-midi, comme il se reposait dans les bois épais qui s’étendent au sud de Walden, il entendit la voix des chiens tout là-bas du côté de Fair-Haven encore à la poursuite du renard ; et voici qu’ils s’en vinrent, et que leur aboi de chasse, dont résonnaient les bois d’un bout à l’autre, retentit de plus en plus près, tantôt de Well-Meadow, tantôt de la Ferme Baker. Longtemps il se tint coi, écoutant leur musique, si douce à l’oreille du chasseur, quand soudain le renard apparut, enfilant les avenues solennelles à un aisé pas de course que tenait secret un sympathique bruissement des feuilles, prompt et silencieux, ne perdant pas un pouce de terrain, laissant ses poursuivants loin derrière ; et sautant sur un rocher au milieu des bois, il s’assit tout droit et aux écoutes, le dos tourné au chasseur. Un moment la compassion retint le bras de ce dernier ; mais ce fut un sentiment de peu de durée, car aussi vite qu’une pensée peut en suivre une autre, son fusil s’ajusta, et pan ! le renard roulant de l’autre côté du rocher reposait mort sur le sol. Le chasseur, sans quitter sa place, écouta les chiens. Encore s’en vinrent-ils, et voici que les bois voisins, d’un bout à l’autre de leurs avenues, retentirent de l’aboi démoniaque. À la fin la mère chienne apparut, le museau au ras du sol, happant l’air comme une possédée, qui courut droit au rocher ; mais apercevant le renard mort, elle cessa soudain d’aboyer, comme frappée de stupeur, pour en faire et refaire le tour en silence ; et un à un ses petits arrivèrent, qui, comme leur mère, se turent, dégrisés par le mystère. Alors le chasseur de s’avancer et de rester là au milieu d’eux, sur quoi le mystère s’éclaircit. Ils attendirent en silence pendant qu’il dé-