Page:Thoreau - Walden, 1922.djvu/29

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l’homme est un fourneau, et les vivres l’aliment qui entretient la combustion dans les poumons. En temps froid nous mangeons davantage, et moins en temps chaud. La chaleur animale est le résultat d’une combustion lente ; est-elle trop rapide, que se produisent la maladie et la mort ; soit par défaut d’aliment, soit par vice de tirage, le feu s’éteint. Il va sans dire que la chaleur vitale n’a pas à se voir confondue avec le feu ; mais trêve d’analogie. Il apparaît donc d’après le tableau qui précède, que l’expression vie animale est presque synonyme de l’expression chaleur animale ; car tandis que le Vivre peut être considéré comme le Combustible qui entretient le feu en nous – et le Combustible ne sert qu’à préparer ce Vivre ou à accroître la chaleur de nos corps par addition venue du dehors – le Couvert et aussi le Vêtement ne servent qu’à retenir la chaleur ainsi engendrée et absorbée.

La grande nécessité, donc, pour nos corps, est de se tenir chauds, de retenir en nous la chaleur vitale. Que de peine, en conséquence, nous prenons à propos non seulement de notre Vivre, et Vêtement, et Couvert, mais de nos lits, lesquels sont nos vêtements de nuit, dépouillant nids et estomacs d’oiseaux pour préparer ce couvert à l’intérieur d’un couvert, comme la taupe a son lit d’herbe et de feuilles au fond de son terrier. Le pauvre homme est habitué à trouver que ce monde en est un bien froid ; et au froid non moins physique que social rattachons-nous directement une grande partie de nos maux. L’été, sous certains climats, rend possible à l’homme une sorte de vie paradisiaque. Le Combustible, sauf pour cuire son Vivre, lui devient alors inutile, le soleil est son feu, et beaucoup parmi les fruits se trouvent suffisamment cuits par ses rayons ; tandis que le Vivre, en général plus varié, se procure plus aisément, et que le Vêtement ainsi que le Couvert perdent totalement ou presque leur utilité. Au temps présent, et en ce pays, si j’en crois ma propre expérience, quelques ustensiles, un couteau, une hache, une bêche, une brouette, etc., et pour les gens studieux, lampe, papeterie, accès à quelques bouquins, se rangent immédiatement après le nécessaire, comme ils se procurent tous à un prix dérisoire. Ce qui n’empêche d’aucuns, non des plus sages, d’aller de l’autre côté du globe, dans des régions barbares et malsaines, se consacrer des dix ou vingt années au commerce en vue de pouvoir vivre – c’est-à-dire se tenir confortablement chauds – et en fin de compte mourir dans la Nouvelle-Angleterre. Les luxueusement riches ne se contentent pas de se tenir confortablement chauds, mais s’entourent d’une chaleur contre nature ; comme je l’ai déjà laissé entendre, ils se font cuire, cela va sans dire, à la mode.

Le luxe, en général, et beaucoup du soi-disant bien-être, non seulement ne sont pas indispensables, mais sont un obstacle positif à l’ascension de