Page:Thoreau - Walden, 1922.djvu/60

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d’aller à Fitchburg, vous travaillerez ici la plus grande partie du jour. Ce qui prouve que si le chemin de fer venait à faire le tour du monde, j’aurais, je crois, de l’avance sur vous ; et pour ce qui est de voir le pays comme acquérir par là de l’expérience, il me faudrait rompre toutes relations avec vous.

Telle est la loi universelle, que nul homme ne saurait éluder, et au regard du chemin de fer même, on peut dire que c’est bonnet blanc et blanc bonnet. Faire autour du monde un chemin de fer profitable à tout le genre humain, équivaut à niveler l’entière surface de la planète. Les hommes ont une notion vague que s’ils entretiennent assez longtemps cette activité tant de capitaux par actions que de pelles et de pioches, tout à la longue roulera quelque part, en moins de rien, et pour rien ; mais la foule a beau se ruer à la gare, et le conducteur crier : « Tout le monde en voiture ! » la fumée une fois dissipée, la vapeur une fois condensée, on s’apercevra que pour un petit nombre à rouler, le reste est écrasé, – et on appellera cela, et ce sera : « Un triste accident. » Nul doute que puissent finir par rouler ceux qui auront gagné le prix de leur place, c’est-à-dire, s’ils vivent assez longtemps pour cela, mais il est probable que vers ce temps-là ils auront perdu leur élasticité et tout désir de voyager. Cette façon de passer la plus belle partie de sa vie à gagner de l’argent pour jouir d’une liberté problématique durant sa moins précieuse partie, me rappelle cet Anglais qui s’en alla dans l’Inde pour faire d’abord fortune, afin de pouvoir revenir en Angleterre mener la vie d’un poète. Que ne commença-t-il par monter au grenier ! « Eh quoi », s’écrient un million d’Irlandais surgissant de toutes les cabanes du pays : « Ce chemin de fer que nous avons construit ne serait donc pas une bonne chose ? » À cela je réponds : « Oui, relativement bonne – c’est-à-dire que vous auriez pu faire pis ; mais je souhaiterais, puisque vous êtes mes frères, que vous puissiez mieux avoir employé votre temps qu’à piocher dans cette boue. »


Avant de finir ma maison, désirant gagner dix ou douze dollars suivant un procédé honnête et agréable, en vue de faire face à mes dépenses extraordinaires, j’ensemençai près d’elle deux acres et demi environ de terre légère et sablonneuse, principalement de haricots, mais aussi une petite partie de pommes de terre, maïs, pois et navets. Le lot est de onze acres en tout, dont le principal pousse en pins et hickorys, et fut vendu la saison précédente à raison de huit dollars huit cents l’acre. Certain fermier déclarait que ce n’était « bon à rien qu’à élever des piaillards d’écureuils ». Je ne mis aucune sorte d’engrais dans ce sol, dont non seulement je n’étais que le « squatter », pas le propriétaire, mais ne comptais pas en outre recommencer à cultiver autant,