Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/186

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d’entrer dans l’alliance d’Athènes, si, par la suite des différends, le traité avec Lacédémone venait à se rompre. Ils se trouvaient à cet égard au dépourvu, et ils craignaient d’avoir en même temps la guerre contre les Lacédémoniens, les Tégéates, les Bœotiens et les Athéniens, pour n’avoir pas voulu traiter d’abord avec Lacédémone, et pour avoir eu l’orgueil de prétendre au commandement du Péloponnèse. Ils envoyèrent, le plus tôt qu’il leur fut possible, en députation à Lacédémone, Eustrophus et Æson, qui leur paraissaient y avoir plus de faveur. Ils espéraient, en faisant avec cette république le meilleur traité que permettaient les circonstances, conserver le repos, quelque tour que prissent les affaires.

XLI. Les députés eurent, à leur arrivée, des conférences avec les Lacédémoniens sur les conditions auxquelles ils pourraient traiter. Ils commencèrent par demander que les différends qu’ils ne cessaient d’avoir au sujet de Cynurie, contrée limitrophe, fussent remis à l’arbitrage d’une ville ou d’un particulier. Ce pays renferme les villes de Thyrée et d’Anthane[1], et il est en la possession des Lacédémoniens. Ceux-ci ne permirent pas de faire mention de cette affaire ; mais ils se montrèrent disposés, si les Argiens le voulaient, à traiter avec eux aux mêmes conditions qui les unissaient auparavant. Cela n’empêcha pas les députés de les presser ensuite de consentir à ce qu’il fût conclu, pour le présent, une alliance de cinquante ans, sans qu’il fût interdit à celle des deux nations qui voudrait provoquer l’autre, soit Argos, soit Lacédémone, pourvu que ce ne fût dans un temps ni de contagion ni de guerre, de se battre pour la possession de ce pays (c’était ce qu’ils avaient fait autrefois, quand les deux partis s’étaient crus victorieux) : mais on ne pourrait se poursuivre au-delà des frontières d’Argos ou de Lacédémone. Ces propositions semblèrent d’abord ridicules aux Lacédémoniens ; cependant, comme ils voulaient, à quelque prix que ce fût, avoir les Argiens pour amis, ils accordèrent ce qu’on leur demandait, et le traité fut dressé, mais avant de le ratifier, ils voulurent que les députés retournassent à Argos le communiquer au peuple, pour revenir aux fêtes d’Hyacinthe ; s’il en agréait les conditions, les confirmer par serment. Les députés se retirèrent.

XLII. On était occupé dans Argos de ces négociations, quand Andromène, Phædime et Antiménidas, députés de Lacédémone, qui devaient recevoir des Bœotiens Panactum et les prisonniers, pour les rendre aux Athéniens, trouvèrent la place démantelée par les Bœotiens eux-mêmes. Ceux-ci s’excusaient sur le prétexte qu’autrefois, à la suite de différends qu’ils avaient eus avec les Athéniens au sujet de cette même place, ils avaient juré réciproquement que ni les uns ni les autres ne l’occuperaient, mais qu’ils la posséderaient en commun. Ils remirent les prisonniers athéniens, qu’Andromène et ses collègues reconduisirent à Athènes où ils les rendirent. Ils y annoncèrent la destruction de Panactum, et croyaient que c’était le rendre en effet, puisqu’il n’y logerait plus d’ennemis de cette république. Mais les Athéniens ne purent les entendre sans indignation ; le démantèlement de cette place, qui leur devait être remise en bon état, était à leurs yeux un outrage de la part des Lacédémoniens, et ils apprennent, comme une autre injure, que Lacédémone eût contracté une alliance particulière avec les Bœotiens, après avoir pris l’engagement de forcer en commun à recevoir la trêve ceux qui refuseraient d’y entrer. Ils considéraient tous les autres points de la convention qu’elle n’avait pas observés, se regardaient comme trompés, et firent aux députés une réponse dure en les congédiant.

XLIII. Pendant qu’Athènes et Lacédémone étaient livrées à ces différends, ceux des Athéniens qui, de leur côté, voulaient rompre la trêve, se hâtèrent de travailler fortement à remplir ce dessein. Entre eux était Alcibiade, fils de Clinias, qui n’aurait encore été qu’un jeune homme dans une autre république, mais qui jouissait du respect qu’avaient mérité ses ancêtres. Il prétendait que le meilleur parti était de s’unir avec Argos. Une querelle d’orgueil le rendait contraire aux Lacédémoniens, piqué de ce que c’était à la considération de Nicias et de Lachès qu’ils avaient conclu la trêve, méprisant

  1. Anthane. C’est ainsi que j’écris le nom de cette ville d’après Pline. Thucydide écrit Anthène, Anthènè, parce qu’il suit l’orthographe et la prononciation du dialecte attique : mais comme cette place était située aux confins de la Laconie, dans un pays où l’on parlait le dialecte dorique, les habitant et les voisins devaient la nommer Anthane.