Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/11

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dans les rangs opposés, revint avec Agésilas à Sparte, et se retira ensuite avec sa femme et ses fils à Scillonte en Élide, sur la route de Sparte à Olympie, où les Lacédémoniens lui avaient fait présent d’une maison et de terres considérables. Il a décrit lui-même dans l’Anabase (V, III.) le tableau de la vie délicieuse qu’il y a menée. M. Lettrone pense que ce fut dans cette charmante retraite qu’il composa l’Anabase, les Traités de la Chasse et de l’Équitation, et les deux Traités sur les républiques de Sparte et d’Athènes, s’ils sont en effet de lui.

Lors de l’expédition d’Épaminondas en Laconie (vers 368) les Éléens marchèrent contre Scillonte qu’ils ravagèrent. Xénophon se rendit à Élis pour se faire restituer les terres dont on le dépouillait ; mais, n’ayant pu obtenir justice, il se retira avec ses fils à Corinthe, où il se fixa pour le reste de sa vie, plutôt que dans la ville d’Athènes qui le rappela après trente ans d’exil.

« Je pense, dit M. Lettrone, que son rappel dut suivre de peu de temps son expulsion de Scillonte. Il est vraisemblable, qu’apprenant le malheur que venait d’éprouver cet homme illustre, sa patrie consentit enfin à révoquer l’arrêt de son bannissement… Son rappel a certainement précédé la bataille de Mantinée (3e année de la 104e olympiade) ; car apprenant qu’Athènes avait pris le parti de Sparte dans la guerre contre les Thébains, il saisit cette occasion unique de voir ses fils combattre sous les drapeaux athéniens en faveur de sa chère Lacédémone. Tous deux il les envoya à Athènes où ils furent enrôlés dans le corps d’Athéniens qui combattit à Mantinée : ce qui suppose qu’alors leur père n’était plus banni. Il avait quatre-vingts ans, et son exil en avait duré environ trente, et dix de plus que celui de Thucydide. Ce long bannissement montre combien était grave, aux yeux des Athéniens, l’accusation de laconisme qu’il avait encourue. À l’époque de la bataille de Mantinée, il n’était pas encore revenu à Athènes : on ignore s’il y retourna jamais.

Ce fut à Corinthe qu’il apprit que son fils Gryllus avait perdu la vie en combattant à Mantinée, après avoir, disait-on, blessé à mort Épaminondas. On rapporte que lorsque cette funeste nouvelle arriva, Xénophon, la couronne sur la tête, célébrait un sacrifice. Il ôta sa couronne ; mais apprenant que son fils était mort vaillamment, il la remit sans verser de larmes, et se contenta de dire : « Je savais bien que j’avais pour fils un mortel. »

Ce fut à Corinthe qu’il termina la Cyropédie et les Helléniques, et composa un de ses meilleurs ouvrages, le Traité des Revenus de l’Attique, dans lequel il exprime d’une manière si touchante ses vœux pour la prospérité d’Athènes. « Avant de descendre dans la tombe, s’écrie-t-il, que je voie du moins ma patrie tranquille et florissante (V, I). »

Il mourut probablement dans cette même ville, vers l’an 355 ou 354 av. J.-C.

Nous possédons probablement encore tout ce que Xénophon a composé. On divise ordinairement ses ouvrages en quatre classes.

1o Ouvrages historiques.

Ce sont : les Helléniques, ou continuation de l’histoire de la Grèce de Thucydide, l’Anabase ou Expédition des Dix-Mille et la Vie d’Agésilas.

2o Ouvrages politiques.

Ce sont ; la Cyropédie, les Républiques de Sparte et d’Athènes, les Revenus de l’Attique.

3o Ouvrages didactiques.

Ce sont : l’Hipparchique ou le Maître de la cavalerie, le Traité de l’Équitation, les Cynégétiques ou Traité de la Chasse, et l’Économique.

4o Ouvrages philosophiques.

Ce sont : Apologie de Socrate, Mémoires sur Socrate, Banquet et Hiéron.

Il existe de plus quelques lettres de lui à ses amis. Elles terminent ce volume sous le titre Correspondance.

« Dans ces divers ouvrages, dit M. Lettrone, il ne s’est montré doué ni de cette puissance de réflexion ni de cette activité intérieure qui entraînait Platon à s’élever sans cesse aux spéculations les plus sublimes, ni de cet esprit d’observation qui révélait à Thucydide les causes les plus secrètes des événemens, et lui faisait pénétrer les intentions les plus cachées des principaux acteurs du grand événement dont il avait entrepris l’histoire. Ce n’est point un penseur profond qui prend de loin et de haut le parti d’approfondir, comme Platon, les grandes questions de la morale et de la philosophie, ou de reproduire, comme Thucydide, le tableau complet d’une époque historique. C’est un homme essentiellement pratique, mêlé aux hommes et aux choses de son temps ; et qui, lorsque l’occasion l’y conduit, se met à raconter les événemens dont il a été témoin et les impressions qu’il a reçues, ou rédige les observations qu’il a faites sur les chevaux, la chasse, l’agriculture, l’éducation, le gouvernement, les finances. Tous ses ouvrages ont plus ou moins ce caractère. C’est ce qui a fait croire aux anciens eux-mêmes qu’il a dû reproduire avec plus de fidélité que Platon les opinions de son maître. Cela est très probablement vrai en ce sens qu’il n’y ajoute rien ; mais en donne-t-il une idée complète ? on peut en douter ; du moins le Socrate de Xénophon ne nous représente qu’imparfaitement l’homme qui