Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/176

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se réunirent en peloton sur la colline ; ils repoussèrent Cléaridas qui les chargea deux ou trois fois, et ne fléchirent que lorsque la cavalerie de Myrcinie et de Chalcide, jointe aux peltastes, les força de fuir. Ainsi toute l’armée d’Athènes fut mise en déroute et ne se sauva qu’avec peine. Les soldats dispersés prirent divers chemins à travers les montagnes ; les uns furent tués sur la place en se défendant, d’autres reçurent la mort, atteints par la cavalerie chalcidienne ; le reste chercha un asile dans Éion. Les guerriers qui avaient enlevé Brasidas et l’avaient tiré de la mêlée le portèrent à la ville, respirant encore. Il apprit que les siens étaient vainqueurs, et bientôt il rendit le dernier soupir. Le reste de l’armée revint de la poursuite avec Cléaridas, dépouilla les morts et dressa un trophée.

XI. Tous les alliés en armes suivirent la pompe funèbre de Brasidas ; ses funérailles furent célébrées aux frais du public. Il fut inhumé dans la ville, en face de la place où est à présent le marché. Les citoyens entourèrent son monument d’une enceinte, lui consacrèrent une portion de terrain comme à un héros, et fondèrent en son honneur des jeux et des sacrifices annuels. Ils lui dédièrent leur colonie, le reconnaissant pour leur fondateur, abattirent les édifices consacrés à Agnon, et détruisirent tous les monumens qui pouvaient rappeler que la colonie lui devait son origine. Ils croyaient devoir leur salut à Brasidas, et cherchaient d’ailleurs à ménager l’alliance de Lacédémone, par la crainte qu’en ce moment Athènes leur inspirait. Ennemis de cette république, ils ne trouvaient ni le même plaisir ni la même utilité à révérer Agnon. Les Athéniens reçurent les corps des guerriers qu’ils avaient perdus. Il avait péri environ six cents hommes du côté des vaincus, et seulement sept hommes du côté des vainqueurs ; car l’action avait été moins une bataille qu’une surprise et une déroute. Les Athéniens retournèrent chez eux après avoir recueilli leurs morts, et Cléaridas mit ordre aux affaires d’Amphipolis.

XII. Vers cette époque, à la fin de l’été[1], Rhamphias, Autocharidas et Épicydidas, lacédémoniens, conduisirent, pour la guerre de Thrace, un secours de neuf cents hoplites. Arrivés à Héraclée, dans la Trachinie, ils s’y arrêtèrent pour remédier à quelques désordres qu’ils crurent y trouver. Ils y étaient quand se passa l’affaire dont nous venons de parler, et l’été finit.

XIII. Dès le commencement de l’hiver[2], Rhamphias et ses collègues s’avancèrent jusqu’à Piérie, dans la Thessalie ; mais comme les Thessaliens voulaient s’opposer à leur passage, que Brasidas était mort, et que c’était à lui qu’ils menaient leur armée, ils retournèrent sur leurs pas. Ils pensaient qu’elle n’était plus nécessaire depuis la défaite et le départ des Athéniens, et ils ne se croyaient pas en état de suivre les projets de Brasidas. Mais ce qui les décida le plus au retour, c’est qu’à leur départ ils avaient su que les esprits des Lacédémoniens inclinaient vers la paix.

XIV. Après l’affaire d’Amphipolis, et depuis que Rhamphias fut sorti de la Thessalie, il ne se commit de part ni d’autre aucune hostilité, et les pensées se tournèrent plutôt vers la réconciliation. Les Athéniens, maltraités à Délium, et peu après à Amphipolis, n’avaient plus cette ferme confiance dans leurs forces qui les avait empêchés d’entendre à un accommodement, quand, éblouis de leur fortune présente, ils s’étaient flattés de conserver toujours la supériorité. Ils craignaient aussi leurs alliés que les nouveaux désastres pouvaient animer encore plus à la défection. Ils se repentaient de n’avoir pas traité, quand, après l’affaire de Pylos, ils se trouvaient dans un état respectable. D’un autre côté, les Lacédémoniens voyaient cheminer la guerre d’une manière bien opposée à leurs premières pensées, quand ils avaient cru n’avoir qu’à ravager l’Attique pour détruire en quelques années la puissance d’Athènes. Ils avaient souffert à Sphactérie une humiliation dans laquelle jamais Sparte n’était tombée. Des gens de guerre sortaient de Cythère et de Pylos pour dévaster leurs campagnes, et les Hilotes se livraient à la désertion. Ils s’attendaient toujours à voir ce qui en restait, dans l’espoir d’obtenir des secours du dehors, tramer, comme autrefois, quelques nouveautés. Il se joignait à ces circonstances, que la trêve de trente ans, conclue avec les Argiens, allait expirer, et ceux-ci n’en voulaient pas faire

    affaire comme une déroute dans laquelle les vainqueurs ne perdirent que sept hommes, et Diodore nous montre des gens de marque mourant autour des deux généraux, jaloux d’imiter leur valeur.

  1. Avant le 21 septembre.
  2. Aussitôt après le 21 septembre.