Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/202

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

votre conservation, et de ne pas résister à des forces bien supérieures aux vôtres. »

CII. Les Méliens. « Mais nous savons que les événemens de la guerre prennent quelquefois un tour inattendu, au lieu de s’accorder avec la disproportion des forces réciproques. En vous cédant sans effort, nous n’avons plus d’espérance ; en agissant, il nous reste encore l’espérance de nous soutenir. »

CIII. Les Athéniens. « L’espérance, consolatrice dans les dangers, convient à ceux qui ne s’y livrent qu’avec des forces supérieures ; elle peut leur nuire, et non les perdre. Mais ceux qui jettent au hasard toutes leurs ressources, car l’espérance est prodigue, ne la connaissent qu’après qu’elle les a trompés ; et quand ils ont acquis l’expérience de ses perfidies, il ne leur reste plus de quoi s’en garantir. Ne vous exposez point à ce malheur, vous faibles, et qui ne pouvez tenter qu’une fois le sort : qu’il ne vous arrive pas ce qu’ont éprouvé beaucoup d’autres, à qui les règles de la sagesse humaine offraient des moyens de se sauver, mais qui enfin accablés, et privés de toute espérance solide, en ont embrassé de chimériques, la divination, les oracles, et tout ce qui est capable de perdre ceux qui veulent toujours espérer. »

CIV. Les Méliens. « Sachez que nous aussi nous pensons qu’il est difficile de lutter à la fois, sans égalité de force, et contre votre puissance et contre la fortune. Mais nous avons cependant la confiance qu’en résistant justement à des hommes injustes, la Divinité ne permettra pas que la fortune nous humilie. Ce qui nous manque du côté de la force sera suppléé par l’alliance des Lacédémoniens ; ils seront obligés de nous secourir, si ce n’est par d’autres raisons, au moins par honneur, et parce que nous sommes d’une même origine. Notre audace n’est donc pas, à tous égards, si dépourvue de raison. »

CV. Les Athéniens. « Nous ne craignons pas non plus que la protection divine nous abandonne. Dans nos principes et dans nos actions, nous ne nous écartons ni de l’idée que les hommes ont conçue de la Divinité, ni de la conduite qu’ils tiennent entre eux. Nous croyons, d’après l’opinion reçue, que les dieux, et nous savons bien clairement que les hommes, par la nécessité de la nature, dominent partout où ils ont la force. Ce n’est pas une loi que nous ayons faite ; ce n’est pas nous qui, les premiers, nous la soyons appliquée dans l’usage ; nous en profitons, et nous la transmettrons pour toujours aux temps à venir. Nous sommes bien sûrs que vous-mêmes, et qui que ce fût, avec la puissance dont nous jouissons, tiendriez la même conduite. Nous n’avons donc pas lieu de craindre que la Divinité nous veuille humilier. Quant à Lacédémone, si vous êtes dans la bonne foi de penser que, par honneur, elle vous donnera des secours, nous vous félicitons de votre simplicité, nous sommes loin d’envier votre prudence. Les Lacédémoniens, entre eux et dans leurs institutions intérieures, suivent généralement les lois de la vertu ; mais, à l’égard des autres, on aurait bien des choses à dire sur leurs procédés. Qu’il suffise d’observer, en peu de mots, que, plus ouvertement qu’aucun peuple que nous connaissions, ils regardent l’agréable comme honnête et l’utile comme juste. Une telle façon de penser répond mal aux folles espérances que vous concevez de votre salut. »

CVI. Les Méliens. « Et c’est surtout cette façon de penser qui nous fait croire que, pour leur intérêt, ils ne voudront pas, en trahissant Mélos, une de leurs colonies, se montrer sans foi à ceux des Grecs qui ont pour eux de la bienveillance, et faire connaître qu’ils servent la cause de leurs ennemis, »

CVII. Les Athéniens. « Ainsi vous ne croyez pas que l’intérêt se trouve avec la sûreté ; mais que le beau, le juste s’exerce au milieu des périls. Les Lacédémoniens évitent surtout de les braver. »

CVIII. Les Méliens. « Nous pensons qu’ils s’exposeront plus volontiers aux dangers en notre faveur, et qu’ils nous regarderont comme de plus sûrs amis pour eux que pour personne ; d’autant plus qu’en cas de guerre, nous sommes voisins du Péloponnèse, et que leur devant notre origine, nous leur serons d’inclination plus solidement attachés que d’autres. »

CIX. Les Athéniens. « Ce n’est pas la bienveillance de ceux qui demandent des secours, que celui qui les accorde regarde comme un gage assuré, mais la grande supériorité de leurs forces : et voilà ce que personne ne considère plus que les Lacédémoniens. Ils se défient de leur propre puissance, et ce n’est qu’avec un grand nombre d’alliés qu’ils marchent même contre leurs voi-