Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/231

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liberté de ceux de Sicile, il est de notre intérêt qu’ils soient hors d’état de faire la guerre, et qu’ils ne nous fournissent que de l’argent : mais il n’en est pas de même ici des Léontins et de nos autres amis : il est bon pour nous qu’ils jouissent de la plus grande liberté.

LXXXV. « Pour un prince, ou pour un état qui jouit de l’empire, rien de ce qui lui est utile n’est déraisonnable ; il n’aime que ceux sur lesquels il peut compter ; il doit, au gré des circonstances, être ami ou ennemi. Ici notre intérêt n’est pas de faire du mal à nos amis ; mais de tenir, au moyen de leurs forces, nos ennemis dans l’impuissance. La défiance serait déplacée. Nous nous conduisons avec nos alliés de la Grèce en conséquence des avantages que chacun d’eux peut nous procurer. Les habitans de Chio et de Méthymne conservent leur liberté et nous fournissent des vaisseaux. La plupart paient un tribut pécuniaire qui est sévèrement exigé ; d’autres, entièrement libres, portent les armes avec nous : ce sont cependant des insulaires et des peuples faciles à conquérir ; mais ils sont avantageusement placés autour du Péloponnèse. On doit donc croire que nous ne prendrons ici que des mesures conformes à notre intérêt et aux craintes que nous inspirent les Syracusains, et dont nous faisons l’aveu. Ils aspirent à vous dominer, et veulent, en nous rendant suspects à vos yeux, que nous soyons obligés de nous retirer sans succès, pour établir eux-mêmes leur empire sur la Sicile, soit par la force, soit en vous surprenant dans l’abandon. C’est ce qui doit nécessairement arriver si vous embrassez leur parti ; car il ne vous sera pas facile d’assembler encore une fois de telles forces, et quand nous ne serons plus ici, les Syracusains ne seront pas trop faibles contre vous.

LXXXVI. « Les faits suffisent pour convaincre ceux qui penseraient autrement. Quand vous-mêmes d’abord nous avez appelés, vous ne cherchiez à nous inspirer qu’une crainte ; c’était que nous ne pouvions, sans danger pour nous-mêmes, vous laisser tomber sous le joug des Syracusains. Il n’est pas juste de vous défier à présent de ce que vous vouliez nous persuader alors, ni de former contre nous des soupçons, parce que nous venons, avec des forces plus respectables, attaquer la puissance de vos ennemis : c’est qu’il faut vous armer de défiance. Sans vous, nous ne pouvons rester ici ; et même si, devenus perfides, nous parvenions à subjuguer la Sicile, la longueur du trajet, la difficulté de garder de grandes villes, les forces de terre qu’on nous opposerait, tout mettrait obstacle à ce que nous pussions la conserver. Mais ceux que vous devez craindre ne sont pas, comme nous, dans un camp. C’est d’une ville bien plus formidable que notre présence qu’ils s’élanceront sur vous ; ils vous épient sans cesse, et dès qu’ils pourront saisir l’occasion, ils ne la laisseront pas échapper. C’est ce qu’ils ont déjà montré plus d’une fois, entre autres, contre les Léontins. Et maintenant ils ont l’audace de vous appeler, comme si vous étiez des gens stupides, contre ceux qui mettent obstacle à leurs desseins, et qui, jusqu’à présent, ont empêché la Sicile de tomber sous leur joug. C’est avec bien plus de sincérité que nous vous invitons à vous conserver et à ne pas trahir votre salut qui dépend de nos secours mutuels. Pensez que, même sans alliés, les Syracusains, par leur nombre, ont toujours une route ouverte pour venir vous attaquer ; mais que vous ne pourrez pas vous défendre plusieurs fois avec de tels auxiliaires. Si par votre défiance vous souffrez que vos amis se retirent sans succès, ou qu’ils éprouvent une défaite, un jour viendra que vous voudriez bien en voir du moins près de vous une faible partie, quand leur secours, si même vous le receviez, ne pourrait plus vous être utile.

LXXXVII. « Craignez, citoyens de Camarina, ainsi que tous ceux à qui nous offrons notre alliance, de vous laisser tromper par les calomnies des Syracusains. Nous avons dit la vérité dans toute son étendue sur l’objet des soupçons que l’on répand contre nous : pour achever de vous persuader, nous allons nous résumer en peu de mots. Nous avons pris l’empire sur nos alliés de la Grèce, mais c’était pour n’être soumis à personne ; nous offrons la liberté à nos alliés de Sicile pour qu’ils ne nous nuisent pas ; nous sommes remuans par nécessité, parce qu’il est bien des dangers dont nous avons à nous défendre. Ce n’est pas sans être appelés, c’est à l’invitation de ceux d’entre vous qui étaient opprimés, que déjà nous sommes venus ici, que nous y revenons encore leur offrir des secours. Ne vous érigez ni en juges ni en censeurs de notre conduite, et ne cherchez pas, ce qui serait