Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/242

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vèrent à Athènes. Ils dirent tout ce qu’on les avait chargés d’annoncer de vive voix, répondirent aux demandes qu’on leur faisait, et remirent leur dépêche. Le secrétaire de la république, s’avançant au milieu de l’assemblée, en fit lecture. Voici ce qu’elle portait :

XI. « Vous avez appris, Athéniens, par un grand nombre de lettres précédentes, ce que nous avons fait jusqu’à l’époque actuelle. Il est aujourd’hui d’une grande importance que vous ne soyez pas moins bien informés de notre situation actuelle, pour en faire l’objet de vos délibérations. Nous avions eu l’avantage dans la plupart des combats sur les Syracusains contre qui vous nous avez envoyés, nous avions construit des retranchemens où nous sommes encore, quand Gylippe de Lacédémone est arrivé à la tête d’une armée du Péloponnèse et de quelques villes de la Sicile. Nous l’avons vaincu dans la première bataille ; mais le lendemain, forcés par une cavalerie nombreuse et par des gens de traits, nous avons été repoussés dans nos retranchemens. La supériorité des ennemis ne nous permet plus de continuer les travaux de circonvallation, et nous restons dans l’inactivité. Il nous est impossible d’agir avec toutes nos forces, parce que la garde des lignes occupe une partie de nos troupes. D’ailleurs, les ennemis ont élevé contre nous un mur simple qui nous empêche de les investir, à moins que d’enlever leurs ouvrages, ce qui exigerait des forces supérieures. Nous paraissons assiéger les autres, et il arrive que c’est plutôt nous-mêmes qui sommes assiégés, au moins du côté de terre : resserrés par la cavalerie, nous ne pouvons guère nous avancer dans la campagne.

XII. « Les ennemis ont envoyé, de leur côté, dans le Péloponnèse, solliciter une autre armée, et Gylippe part lui-même pour les villes de la Sicile. Son dessein est d’entraîner dans la guerre celles qui maintenant restent tranquilles, et de tirer des autres, s’il est possible, de nouvelles troupes de terre et de mer. Ils veulent, comme je l’apprends, insulter à la fois nos lignes par terre avec de l’infanterie, et par mer avec une flotte. Ne soyez point surpris qu’ils pensent à nous attaquer même du côté de la mer ; ils savent que notre flotte, d’abord florissante par le bon état des vaisseaux et la santé des équipages, n’offre plus maintenant que des vaisseaux pourris, pour avoir trop long-temps tenu la mer, et des équipages ruinés. Il n’est pas possible de mettre les bâtimens à sec pour les radouber : c’est ce que ne permet pas la flotte ennemie, qui n’est pas moins nombreuse que la nôtre, qui a plus de monde et qui se montre sans cesse disposée à venir sur nous. On ne peut douter qu’elle ne tente d’exécuter ce dessein. Il ne tient qu’aux ennemis de nous attaquer, et il leur est plus libre de mettre leurs bâtimens à sec, car ils ne sont pas obligés de tenir une autre flotte en respect.

XIII. « Nous jouirions à peine de cette commodité, quand nous aurions une flotte supérieure, et que nous ne serions pas obligés, comme à présent, de tenir tous nos vaisseaux sur la défensive. Pour peu que nous retranchions de notre garde, nous manquerons de subsistances, puisque c’est même à présent avec beaucoup de peine que nous les faisons passer devant la ville ennemie. Voilà ce qui a ruiné nos équipages, ce qui continue de les détruire ; car nos matelots sont tués par la cavalerie dès qu’ils s’écartent pour aller au loin chercher du bois, du fourrage ou de l’eau. Comme les deux camps sont à la vue l’un de l’autre, les valets désertent, et les étrangers, qu’on a forcés de monter nos vaisseaux, saisissent la première occasion de se réfugier dans les villes. Quant aux troupes soudoyées, elles se sont d’abord laissé gagner par l’appât d’une forte solde ; elles croyaient avoir plutôt à butiner qu’à combattre ; mais à présent qu’elles ont sous leurs yeux, contre leur attente, et la flotte et tout l’appareil guerrier des ennemis, elles désertent, les unes sous prétexte d’aller chercher des pierres, les autres par tous les autres moyens qu’elles peuvent imaginer : ce qui n’est pas difficile ; car la Sicile est d’une grande étendue. Il se trouve aussi des matelots qui achètent des esclaves d’Hyccara, et obtiennent des triérarques la permission de les mettre à leur place, ce qui détruit l’exactitude du service.

XIV. « Je vous écris ce que vous ne pouvez ignorer : c’est que les équipages ne conservent pas long-temps leur première ardeur, et qu’il est peu de matelots qui manœuvrent constamment comme à la sortie du port. Ce qui est le plus embarrassant, c’est que, tout général que je suis, je n’ai pas le pouvoir d’empêcher ces