Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/271

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VI. Dans ces conjonctures, Calligite, fils de Laophon de Mégare, et Timagoras, fils d’Athénagoras de Cyzique, tous deux exilés de leur patrie, et qui avaient trouvé un asile auprès de Pharnabaze, fils de Pharnace, arrivent à Lacédémone. Ils étaient envoyés par Pharnabaze pour engager cette république à faire passer une flotte dans l’Hellespont. Il avait en vue, s’il était possible, de remplir les mêmes objets dont s’occupait Tissapherne ; c’était de soulever contre Athènes les villes de son gouvernement pour en recevoir les tributs, et de se donner le mérite de faire entrer au plus tôt les Lacédémoniens dans l’alliance du roi. Comme les émissaires de Pharnabaze et ceux de Tissapherne négociaient séparément pour obtenir les mêmes choses, il y eut de vives contestations entre les Lacédémoniens, les uns voulant qu’on envoyât d’abord des vaisseaux et des troupes dans l’Ionie et à Chio, et les autres dans l’Hellespont. Cependant les sollicitations de Tissapherne et des habitans de Chio furent reçues bien plus favorablement : c’est qu’elles étaient soutenues par Alcibiade, qui, par ses pères, était étroitement lié d’hospitalité avec l’éphore Endius. Il résultait même de cette intimité, qu’un nom lacédémonien était adopté dans sa famille ; car on appelait Endius, fils d’Alcibiade[1].

Les Lacédémoniens ne laissèrent pas d’envoyer d’abord à Chio un de leurs sujets[2], nommé Phrynis, pour reconnaître si cette république avait autant de vaisseaux qu’elle en annonçait, et si, d’ailleurs, ses moyens répondaient à ce qui en était publié. Le rapport fut qu’on ne leur avait annoncé que la vérité, et ils reçurent aussitôt dans leur alliance les habitans de Chio et ceux d’Érythres. Ils décrétèrent de leur envoyer quarante vaisseaux ; et, d’après ce que les gens de Chio avaient déclaré, le pays n’en avait pas lui-même moins de soixante. Ils allaient en faire d’abord partir dix, avec Mélancridas qui en avait le commandement : mais comme il survint un tremblement de terre dans la Laconie, ils n’en appareillèrent que cinq au lieu de dix, et les mirent sous le commandement de Chalcidée au lieu de Mélancridas. L’hiver finit, ainsi que la dix-neuvième année de la guerre que Thucydide a écrite.

VII. Dès le commencement de l’été suivant[3], les habitans de Chio sollicitèrent avec empressement l’expédition de la flotte. Ils craignaient que les Athéniens ne vinssent à être informés de leurs négociations ; car toutes avaient été conduites à l’insu d’Athènes. Les Lacédémoniens, sur leurs instances, dépêchèrent à Corinthe trois Spartiates pour faire passer promptement les vaisseaux par-dessus l’isthme, dans la mer qui regarde Athènes, et pour donner ordre que tous les bâtimens, tant ceux qu’Agis avait préparés pour Lesbos que les autres, fissent voile pour Chio. Là se trouvaient en tout trente-neuf vaisseaux des alliés.

VIII. Calligite et Timagoras refusèrent, au nom de Pharnabaze, de prendre part à cette expédition de Chio, et ne donnèrent pas les vingt talens[4] qu’ils avaient apportés pour l’envoi d’une flotte. Ils prirent la résolution de partir ensuite eux-mêmes avec d’autres vaisseaux.

Quand Agis vit les Lacédémoniens s’empresser d’aller d’abord à Chio, il ne crut pas devoir être lui-même d’un avis différent. Les alliés s’assemblèrent à Corinthe, et y tinrent conseil ; ils conclurent de commencer par se rendre à Chio, sous le commandement de Chalcidée, qui avait équipé les cinq vaisseaux dans la Laconie, d’aller ensuite à Lesbos sous le commandement d’Alcamène, qu’Agis avait résolu d’y envoyer, et enfin de passer dans l’Hellespont. Cléarque, fils de Rhamphias, avait été désigné pour chef de cette dernière entreprise. Ils résolurent de transporter d’abord par-dessus l’isthme la moitié des vaisseaux, et de les expédier sur-le-champ, pour empêcher les Athéniens de faire plus d’attention à la flotte qui allait faire voile, qu’à celle qu’on

  1. Le nom d’Alcibiade était lacédémonien. Ce fut celui du père d’Endius. L’un des aïeux du célèbre Alcibiade le prit par amitié pour le Lacédémonien qui le portait, et qui était son hôte. On n’est point d’accord, entre les savans, sur le premier des Athéniens qui prit ce nom : les uns pensent que ce fut l’aïeul de notre Alcibiade, et les autres, son bisaïeul.
  2. Le texte porte periokon. C’était le nom qu’on donnait aux sujets dans le dialecte des Crétois (Athénén, p. 263). Les Lacédémoniens avaient emprunté bien des expressions à ce dialecte, comme ils avaient emprunté aux Crétois un grand nombre de leurs institutions.
  3. Vingtième année de la guerre du Péloponnèse, quatrième année de la quatre-vingt-onzième olympiade, quatre cent treize ans avant l’ère vulgaire. Depuis le 8 avril.
  4. Cent huit mille livres.