Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/280

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XXXVIII. Après cet accord, Théramène remit la flotte à Astyochus, monta sur un bâtiment léger et on ne le revit plus. Déjà les Athéniens étaient passés de Lesbos à Chio avec leur armée : ils furent maîtres de la terre et de la mer, et se mirent à fortifier Delphinium : c’est un lieu fort du côté de la terre ; il a des ports, et n’est pas fort éloigné de Chio. Les citoyens de cette république, consternés des revers multipliés de leurs armes, ne jouissant pas même de la concorde intérieure, affaiblis par la mort de ceux que Pédarite avait fait périr avec Tydée, fils d’Ion, comme favorables aux Athéniens, d’ailleurs à peine contenus dans le devoir, et tous livrés les uns contre les autres à des défiances réciproques, restèrent dans l’inaction. Eux-mêmes, par la situation où ils se trouvaient, n’étaient pas en état de combattre, et les troupes auxiliaires que commandait Pédarite ne leur semblaient pas l’être davantage. Ils envoyèrent cependant à Milet inviter Astyochus de venir à leur secours ; mais il ne fit aucune attention à cette prière, et Pédarite fit passer à Lacédémone des plaintes de sa conduite. Telle était la position des Athéniens à Chio. Leur flotte de Samos alla en course contre les vaisseaux de Milet ; ceux-ci ne s’avancèrent pas à sa rencontre, elle se retira et demeura tranquille à Samos.

XXXIX. Les Lacédémoniens, à la sollicitation de Caligite de Mégare, et de Timagoras de Cyzique, avaient appareillé une flotte qu’ils destinaient à Pharnabaze : elle sortit ce même hiver du Péloponnèse, forte de vingt-sept voiles, et prit, vers le solstice[1], la route d’Ionie. Antisthène de Sparte la commandait. Onze Spartiates furent dépêchés par cette occasion pour aller servir de conseil à Astyochus. L’un d’eux était Lichas, fils d’Arcésilas. Ils avaient ordre, à leur arrivée à Milet, de travailler en commun à mettre toutes les affaires dans le meilleur état ; d’envoyer, s’ils le jugeaient à propos, à Pharnabaze, dans l’Hellespont, ou cette même flotte qu’ils montaient, ou un nombre plus ou moins grand de vaisseaux, et de mettre à la tête de cette expédition Cléarque, fils de Rhamphias, qui partait avec eux. Comme les lettres de Pédarite avaient rendu suspect Astyochus, les onze avaient le pouvoir de lui ôter, s’il leur semblait bon, le commandement de la flotte, et de le donner à Antisthène. Ce fut de Malée que ces vaisseaux prirent le large ; ils abordèrent à Mélos, y rencontrèrent dix vaisseaux d’Athènes, en prirent trois vides et les brûlèrent. Mais craignant ensuite (ce qui arriva) que ceux de ces vaisseaux qui s’étaient échappés ne donnassent à Samos avis de leur navigation, ils cinglèrent vers la Crète, prenant le plus long pour avoir moins à craindre, et abordèrent à Caune, en Asie. De là, se croyant en sûreté, ils mandèrent la flotte de Milet pour venir leur faire escorte.

XL. Dans ces conjonctures[2], les habitans de Chio et Pédarite, sans se rebuter des délais d’Astyochus, le firent prier par des messages de venir, avec toute sa flotte, au secours de leur ville assiégée, et de ne pas voir avec indifférence la plus importante des républiques alliées qui fussent en Ionie, privée de l’usage de la mer, et infestée sur terre par le brigandage. Elle avait un grand nombre d’esclaves, et plus même que toute autre, excepté Lacédémone ; comme leur multitude pouvait être redoutable, on châtiait leurs fautes avec une grande sévérité. Aussi, dès que l’armée des Athéniens leur parut être solidement retranchée, se mirent-ils à déserter en foule, et à chercher au milieu d’eux un asile. Comme ils connaissaient bien le pays, personne n’y fit autant de mal. Les citoyens, pendant qu’on avait encore l’espérance et le pouvoir de s’opposer aux assiégeans, que ceux-ci travaillaient encore aux fortifications de Delphinium, et qu’elles n’étaient pas terminées, disaient qu’il fallait venir à leur secours, et investir les ennemis avec une flotte et une armée de terre, en formant une enceinte plus étendue que celle qu’ils occupaient. Quoique les vues d’Astyochus eussent été d’abord différentes, et qu’il eût eu dessein d’accomplir ses menaces, quand il vit les alliés eux-mêmes remplis de zèle pour leur défense, il se disposa de son côté à les secourir.

XLI. Mais il reçut avis de Caune que les Lacédémoniens qui lui étaient donnés pour conseils, y étaient arrivés avec les vingt-sept vaisseaux. Il crut que tout devait céder à l’obli-

  1. Fin de décembre.
  2. Vingtième année de la guerre du Péloponnèse, première année de la quatre-vingt-douzième olympiade, quatre cent douze ans avant l’ère vulgaire. Après le 1er janvier.