Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/342

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nullement rompus au travail parce qu’ils étaient toujours voiturés, se persuadèrent que dans cette guerre ils n’auraient à combattre que des femmes.

Déjà une année s’était écoulée depuis le départ d’Agésilas. Les Trente, dont Lysandre faisait partie, retournèrent à Sparte ; ils eurent pour successeurs Hérippide et autres. Agésilas choisit parmi eux Xénocles pour commander la cavalerie ; Scythès eut en partage les hoplites néodamodes ; Hérippide, les troupes de Cyrus ; Migdon, celles des alliés. Il déclara en même temps qu’il les mènerait bientôt par le plus court chemin, vers le plus fertile quartier du pays ennemi : il avait pour but de mieux disposer au combat leurs esprits et leurs corps.

Tissapherne pensait qu’Agésilas répandait ce bruit dans l’intention de le surprendre encore, et que son dessein était de fondre sur la Carie. Il y conduisit donc son infanterie, comme la première fois ; sa cavalerie fit halte dans la plaine du Méandre. Agésilas ne manqua point à sa parole ; il se jeta, comme il l’avait dit, dans la Sardie : il la traversa pendant trois jours, sans rencontrer d’ennemis, trouvant partout abondance de vivres ; mais le quatrième jour parut la cavalerie barbare, dont le général ordonna au commandant des équipages de passer le Pactole et de camper.

Cependant les Perses tuèrent quelques fourrageurs qui s’étaient écartés pour butiner. Agésilas l’ayant appris, ordonne à sa cavalerie de voler au secours de ces derniers. A la vue du renfort, les Perses se rassemblent et rangent tous leurs escadrons en bataille ; Agésilas, considérant que l’ennemi n’avait pas encore son infanterie, tandis que lui était muni de tout, crut qu’il ne se présenterait jamais de plus belle occasion d’engager le combat. Après avoir immolé des victimes, il avance droit sur les cavaliers ennemis avec sa phalange, ordonne aux plus jeunes de ses cavaliers de fondre en même temps que la phalange, et aux peltastes de suivre en courant. Le reste de la cavalerie eut ordre d’aller à la charge ; l’armée tout entière devait suivre. Les Perses soutinrent le premier choc ; mais ne voyant bientôt que ruine et carnage, ils la lâchèrent pied. Quelques-uns tombèrent dans le fleuve ; les autres prirent la fuite. Mais les Grecs les poursuivirent, se rendirent maîtres de leur personne et de leur camp. Tandis que la troupe légère s’amusait au pillage, selon la coutume, Agésilas fit le tour du champ de bataille et rassembla, outre son bagage, tout le butin qui montait à plus de soixante-dix talens. Ce fut là qu’on prit les chameaux qu’Agésilas amena en Grèce.

Tissapherne se trouvait à Sardes le jour de l’action ; en sorte que les Perses l’accusèrent de trahison. Le roi, informé que Tissapherne était cause du désordre de ses affaires, chargea Tithrauste de lui couper la tête.

Tithrauste, après avoir exécuté cette commission, envoya dire à Agésilas que l’auteur de la guerre avait subi son châtiment. Le roi, ajouta-t-il, juge convenable qu’Agésilas retourne à Sparte, et que les villes d’Asie, rendues à leur liberté, paient le tribut ordinaire. Agésilas ayant répondu qu’il ne pouvait rien conclure sans le consentement des magistrats de son pays : « Eh bien. lui répliqua Tithrauste, jusqu’à ce que leurs ordres vous parviennent, retirez-vous sur les terres de Pharnabaze, puisque je viens de punir votre ennemi. — Approvisionnez donc mon armée, jusqu’à ce que j’y arrive. » Tithrauste lui donna trente talens, avec lesquels il marcha vers la Phrygie, province de Pharnabaze.

Comme il était dans la plaine qui est au-delà de Cyme, arrive un envoyé des éphores qui lui confiait le commandement même de la flotte, avec pouvoir de désigner pour amiral qui il lui plairait. Les Lacédémoniens avaient pris ce parti, dans la pensée que, sous les ordres d’un seul, l’armée de terre serait bien plus imposante en la réunissant à la flotte, et la flotte plus redoutable quand l’armée de terre la protégerait au besoin.

Aussitôt Agésilas ordonna aux villes maritimes, tant des iles que de terre ferme, d’équiper autant de vaisseaux qu’elles le pourraient ; en sorte que l’armée navale fut renforcée de cent vingt galères, aux dépens et des villes qui s’étaient engagées à les fournir, et des particuliers qui voulurent signaler leur zèle. Le commandement en fut donné à Pisandre, beau-frère d’Agésilas, homme vaillant et plein d’honneur, mais trop au-dessous d’un si haut emploi. Pisandre partit du camp pour remplir ses fonctions, tandis qu’Agésilas, constant dans son projet, alla vers la Phrygie.