Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/360

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les murs d’Athènes, et entretenait une flotte qui assurait aux Athéniens la possession des îles et des villes maritimes situées en terre ferme, jugèrent à propos de faire sur cela des représentations à Tiribaze, qui commandait les armées du roi : ils l’engageraient dans leur parti, ou du moins ils feraient que le roi n’entretiendrait plus la flotte de Conon. Le décret rendu, ils dépéchent Antalcide vers Tiribaze, pour l’instruire de ce qui se passe et obtenir la paix.

Les Athéniens se doutent de cette menée, envoient aussi pour ambassadeurs, collègues de Conon, Hermogène, Dion, Callisthène, Callimédon, et demandent aux alliés de s’associer à la députation : la Bœotie, Argos et Corinthe y consentirent. Dès qu’ils furent arrivés chez Tiribaze, Antalcide dit qu’il venait, au nom de sa république, demander la paix au roi, une paix telle qu’il la désirait depuis long-temps ; que les Lacédémoniens ne lui contestaient point les villes grecques de l’Asie ; qu’ils consentaient à l’indépendance des îles et des villes du continent : « Puisque telle est notre intention, ajouta-t-il, qu’est-il besoin que les Grecs se déclarent contre nous, ou que le roi fasse la guerre à ses dépens ? Il ne doit la redouter ni des Athéniens, que nous ne soutiendrons pas, ni de Lacédémone reconnaissant l’indépendance des villes. »

Tiribaze goùta fort ce discours d’Antalcide, qui ne plut point du tout aux autres ambassadeurs. Les Athéniens ne pouvaient se résoudre à l’affranchissement des îles et des villes continentales, dans la crainte de perdre Lemnos, Imbros et Scyros. Les Thébains eussent été contraints de rendre à la liberté les villes de la Bœotie. Avec un semblable traité, les Argiens ne croyaient pas pouvoir conserver à Corinthe le nom d’Argos, ce qu’ils avaient pourtant fort à cœur. La paix ne fut donc pas conclue : ils s’en retournèrent chacun dans leur ville.

Tiribaze croyait dangereux de se déclarer pour les Lacédémoniens sans l’ordre du roi ; mais, sous main, il donna de l’argent à Antalcide : lorsque les Lacédémoniens auraient une flotte, les Athéniens et leurs alliés inclineraient plus à la paix. Il fit emprisonner Conon, sous prétexte qu’il se montrait contraire aux intérèts du roi que les Lacédémoniens discutaient avec franchise. Après cette violation du droit des gens, il retourna à la cour du roi, pour l’instruire des propositions des Lacédémoniens, de l’emprisonnement de Conon qu’il accusait, et pour lui demander ses ordres.

Dès que Tiribaze fut arrivé dans l’Asie-Mineure, le roi envoya Struthas pour régler les affaires maritimes. Struthas, qui se ressouvenait des ravages d’Agésilas sur les terres du grand roi, était fort attaché aux Athéniens et à leurs alliés. Les Lacédémoniens virent bien qu’il était autant leur ennemi que l’ami des Athéniens. Ils chargent donc Thimbron du soin de cette guerre. Il arrive, part d’Éphèse avec des troupes rassemblées de Priène, de Lycophrys et d’Achillée, villes situées dans les plaines du Méandre, et ravage les terres du roi.

Struthas s’aperçut avec le temps que les troupes de Thimbron marchaient fréquemment en désordre et dans une sécurité présomptueuse. Aussitôt il détache des cavaliers dans la plaine, avec ordre de courir à toute bride pour les investir et faire le plus de butin possible. Thimbron, alors dans sa tente, s’entretenait, après dîner, avec Thersandre, bon joueur de flûte, qui de plus, ami des institutions lacédémoniennes, se piquait de force et de bravoure. Struthas, voyant les plus diligens accourir en désordre et en petit nombre, accourt lui-même avec plusieurs escadrons bien rangés. Thimbron et Thersandre tombent les premiers sous leurs coups. Presque tous ceux qui les accompagnaient, mis en déroute et poursuivis, eurent le même sort. Quelques-uns se sauvèrent dans les villes alliées. Le plus grand nombre n’avait pas pris part à l’action, ne s’étant aperçu que fort tard qu’on avait besoin de leur secours. Bien souvent, comme dans cette occasion, Thimbron marchait à l’ennemi sans donner d’ordre à toutes ses troupes.

Dans le même temps, des Rhodiens bannis vinrent à Sparte représenter combien il était impolitique de laisser les Athéniens s’emparer de Rhodes et accroître leur puissance. Les Lacédémoniens comprirent que Rhodes serait aux Athéniens si le peuple y dominait ; que si les riches y commandaient, cette île serait en leur pouvoir. Ils équipèrent donc huit vaisseaux, dont Ecdicus eut le commandement. Diphridas, qui s’embarqua avec lui, fut chargé de passer en Asie, pour tenir en respect les villes qui avaient reconnu Thimbron : il recueillerait les débris de