Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/45

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Une guerre survint ensuite entre les Éginètes et les Athéniens : Il y eut un grand combat naval près d’Égine ; chacun des deux partis était secondé par ses alliés. Les Athéniens eurent l’avantage : ils prirent soixante-dix vaisseaux sur les ennemis, descendirent à terre, et formèrent le siège de la ville, sous le commandement de Léocrate, fils de Strœbus. Les Péloponnésiens voulurent secourir les Éginètes, et portèrent à Égine trois cents hoplites, qui avaient servi comme auxiliaires avec les Corinthiens et les Épidauriens : cette troupe s’empara des hauteurs de Géranie[1], et les Corinthiens descendirent avec les alliés dans la Mégaride. Ils croyaient qu’Athènes, qui avait de grandes forces dispersées à Égine et en Égypte, ne serait pas en état de protéger Mégare, ou que du moins, si elle y faisait passer des secours, elle retirerait d’Égine l’armée qui en faisait le siège. Cependant les Athéniens ne touchèrent point à cette armée ; mais ce qui était resté dans la ville, les vieillards qui avaient passé l’âge du service, et les jeunes gens qui ne l’avaient pas atteint, allèrent à Mégare sous le commandement de Myronide. Il y eut entre eux et les Corinthiens une bataille indécise, et les deux partis se séparèrent, sans que ni l’un ni l’autre crût avoir été vaincu. C’était cependant plutôt les Athéniens qui avaient eu quelque supériorité ; ils dressèrent un trophée après la retraite des Corinthiens. Mais ceux-ci, à leur retour, traités de lâches par les vieillards qui étaient restés à la ville, se préparèrent pendant une douzaine de jours, et revinrent élever un trophée devant celui des Athéniens, comme si eux-mêmes avaient été vainqueurs. Les Athéniens sortirent en armes de Mégare, tuèrent ceux qui élevaient le trophée, se jetèrent sur les autres et remportèrent la victoire.

CVI. Les vaincus se retirèrent : un assez grand nombre, poussé vigoureusement, s’égara du bon chemin et tomba dans le clos d’un particulier, qui était entouré d’un grand fossé et n’avait pas d’issue. Les Athéniens s’en aperçurent ; ils firent face à l’entrée avec des hoplites, et entourèrent le clos de troupes légères, qui accablèrent de pierres ceux qui s’y étaient engagés. Ce fut une grande perte pour les Corinthiens : le reste de leur armée regagna le pays.

CVII. Vers cette époque, les Athéniens commencèrent à construire les longues murailles qui s’étendent jusqu’à la mer, l’une gagnant Phalère et l’autre le Pirée.

Les peuples de la Phocide firent alors la guerre aux Doriens, dont les Lacédémoniens tirent leur origine. Ils attaquèrent Bœon, Cytinion et Érinéon, et prirent une de ces places. Les Lacédémoniens, sous la conduite de Nicomédas, fils de Cléombrote, qui commandait à la place du roi Plistoanax, fils de Pausanias, encore trop jeune, portèrent des secours aux Doriens avec quinze cents de leurs hoplites et dix mille alliés. Ils obligèrent les Phocéens à rendre la place par capitulation, et se retirèrent. Mais les Athéniens se mirent en croisière pour leur couper la mer, s’ils voulaient traverser le golfe de Crissa. Ceux-ci voyaient tout le danger de prendre leur route par Géranie, tandis que les Athéniens occupaient Mégare et Pègues ; car cette montagne, difficile à franchir, était constamment gardée par des troupes athéniennes, et ils n’ignoraient pas qu’elles devaient s’opposer à leur passage. Ils crurent donc devoir s’arrêter en Bœotie pour considérer quel serait le moyen le plus sûr d’opérer leur retraite. Il y avait d’ailleurs à Athènes une faction qui entretenait avec eux des intelligences secrètes, et qui les engageait à prendre ce parti ; elle espérait détruire le gouvernement populaire et s’opposer à la construction des longues murailles. Mais les Athéniens s’armèrent en masse[2] contre cette armée lacédémonienne, avec mille Argiens et les autres alliés, dans un nombre proportionné à leurs forces respectives. Ils étaient en tout quatorze mille. Ils prirent les armes, persuadés qu’ils trouveraient les ennemis dans l’embarras de chercher un passage, et d’ailleurs ils avaient quelques soupçons sur le complot de détruire la démocratie. De la cavalerie thessalienne vint les joindre en qualité d’alliée ; mais dans l’action, elle se tourna du côté des Lacédémoniens.

  1. Géranie, montagne et promontoire de la Mégaride, entre Mégare et Corinthe.
  2. Se lever en masse, s’armer en est masse, est une manière nouvelle de s’exprimer, que de nouvelles circonstances ont rendue nécessaire. Tant que cette expression a manqué à notre langue, on n’a pu traduire en français que par une périphrase le mot grec pandémei.