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avant l’amour

nements inévitables oppressa tout à coup mon cœur. Le silence du musicien n’ébranlait pas ma certitude. Il m’eût paru sacrilège de douter de lui. J’inventais mille excuses, je donnais mille explications à son absence et tout le jour, sans me lasser, je répétais les mélodies où j’entendais sa voix, où je sentais son âme. J’avais bien mon âge, par ces heures enchantées où l’azur de l’illusion me cachait les tristes réalités, où je ne doutais ni de moi-même, ni du Dieu paternel, ni des hommes. La chimère de l’amour m’emportait sur ses ailes, quand madame Gannerault reçut un mot de madame Laforest annonçant sa visite pour le soir même. Rambert, disait-elle, se ferait un plaisir de l’accompagner.

Il vint — et je fus glacée d’une terreur sans causes en voyant la mélancolie de ses yeux, la lassitude de ses gestes et tout un ensemble d’expressions et d’attitudes qui n’étaient pas celles d’un fiancé triomphant. Madame Laforest et son mari avaient engagé une conversation aussi animée que banale, et la volontaire