Page:Tinayre - Gérard et Delphine - La Porte rouge.pdf/43

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

force et la clarté de sa vie, comme Delphine en était l’amour et la douce peine. Il la vit en pensée, à cette heure, dans sa chambre de la tour, près de la croisée à meneaux de pierre d’où l’on découvrait un paysage de volcans morts, gris de cendre et striés de neige. Le village était en contre-bas du château, un noir village cantalien, très pauvre. Toute l’enfance de Gérard avait tenu dans ce château, dans ce village. Il y avait reçu, d’un père veuf et très âgé, l’éducation à la romaine qui fait des chefs de famille et des soldats. Les Sevestre étaient plus instruits, mais presque aussi rudes que leurs vassaux. Chez eux, l’on était brave, bon chrétien, fidèle au roi, économe de son bien, très processif et nullement gêné par la « sensibilité ». On professait le regret du passé et l’horreur des idées nouvelles. Comment, dans ce petit cercle où l’intelligence ne s’appliquait jamais qu’au pratique, Angélique de Sevestre avait-elle acquis un trésor d’idées et de sentiments insoupçonnés de sa famille ? En apparence toute simple et ménagère, elle cachait un cœur d’héroïne chrétienne sous son chaste fichu croisé.

Gérard devait tout à cette sœur, son aînée de quinze ans. Elle avait soigné son enfance, puis elle avait introduit l’adolescent dans ce royaume intérieur et spirituel où elle n’admettait personne. Elle l’avait enfanté à la vie de l’intelligence. Elle lui avait montré, par delà les remparts des volcans, le monde où il ferait carrière, dans l’armée,