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Hellé

L’hiver, clément dans ces régions, touchait à sa fin. Assise dans une des chambres du premier étage, près de la fenêtre aux pâles mousselines, je regardais descendre à l’horizon les gazes de la pluie ou du brouillard, il n’y avait plus de fleurs dans le jardin et, seules, subsistaient les verdures sombres des buis, des lierres, des ifs, tristes et graves comme les tombeaux qu’ils ornent. Parfois, quand cessaient les averses, je demeurais des heures sans mouvement, sans paroles, attentive aux aspects de la plaine modifiés perpétuellement par les aspects changeants du ciel. Ce n’était plus l’éclatante gamme des couleurs estivales ; c’était la gamme plus délicate des nuances, toutes les fines combinaisons du gris, du violet, du bleu, fondus dans une lumière tamisée, vaporeuse, qui enveloppait délicieusement les lointains. Au premier plan de ce vaste tableau, des champs labourés mettaient les taches plus vives d’un brun gras, d’un vert frais et mouillé. Mais la vraie beauté du paysage était toute dans les ciels, — dans les ciels bleus, comme trempés de lait, où nageaient les nuances avec des blancheurs et des mollesses de cygnes, — dans les ciels gris, variés du gris de plomb au gris de perle et du gris de lin au gris d’argent, — dans les ciels balayés de lourdes vapeurs ardoisées qui filent sous le vent avec les oiseaux migrateurs, ciels inquiétants, ciels tourmentés comme la vie.



PRÈS DE LA FENÊTRE AUX PÂLES MOUSSELINES…

Le premier perce-neige ouvrit enfin sur la lisière des bois sa corolle d’un blanc verdâtre. J’allai guetter, entre les branches mortes et les feuilles pourries, l’éveil de la fleur puérile que l’oncle Sylvain m’avait fait aimer. Le soleil était bien pâle encore, mais c’était déjà le vrai soleil, et non plus l’astre hivernal qui voile de brume sa face morne. Dans les clairières bleues montait toute droite la fumée des feux de bûcherons. La brise était tombée. On respirait le printemps.

Je m’étais assise sur un talus couvert