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LES LIVRES NOUVEAUX


La Littérature féminine en France.

Dans la Cité des lettres, les femmes-écrivains, les romancières surtout sont de plus en plus nombreuses et nous savons qu’il en est d’exceptionnelle qualité. Plusieurs d’entre elles ont été l’objet de monographies distinctes. Mais le mouvement littéraire féminin a rarement été étudié dans son ensemble, peut-être parce que les auteurs d’histoires littéraires n’ont pas cru nécessaire d’établir la distinction des sexes dans leurs études des genres. Pourtant l’Histoire de la littérature féminine en France que nous donne M. Jean Larnac (Kra, édit.) constitue une tentative intéressante par ses regroupements et ses observations. L’auteur a recherché les origines de notre littérature féminine dont il suit l’évolution jusqu’à nos jours. Surtout, il lui a plu de nous donner une vision psychologique de nos femmes-écrivains les plus connues. Qu’y a-t-il de spécifiquement féminin dans l’œuvre de Louise Labé, Mme de Sévigné, Mme de Staël, George Sand ou Colette ? En quoi ces œuvres se distinguent-elles des œuvres masculines contemporaines ? En quoi ressemblent-elles aux œuvres féminines qui les précèdent ou les suivent ? Autant de questions, autant de chapitres fort adroitement développés et dont M. Jean Larnac a dégagé, dans les pages finales de son livre, des conclusions à retenir ou à discuter.

Un fait, nous dit M. Jean Larnac, attire l’attention de ceux qui étudient l’activité féminine : le nombre infime des grands talents. « Dès que le mot génie est prononcé à propos d’une femme, avait déjà noté Arvède Barine, l’intérêt s’éveille, et avec raison. Une femme de génie, même contestée, est une apparition trop rare pour ne pas mériter toute notre attention. »

M. Larnac a noté que les noms de femmes ne figurent que selon une proportion de 8 % dans les dictionnaires biographiques, mais, ajoute-t-il, il serait ridicule d’en conclure que la femme est ici inférieure à l’homme, car le nombre de celles qui se sont exercées dans la littérature a toujours été sensiblement inférieur à celui des hommes.

Il semble, par contre, que la correspondance, la poésie et le roman aient assez exclusivement accaparé le génie féminin. Les plus grandes de nos femmes-écrivains sont des épis tôlières, des poétesses ou des romancières. La raison, sans doute, en est que la femme est essentiellement subjective. Rarement elle consentira l’effort qu’exige une étude objective. Rarement elle acceptera de se soumettre à la discipline que demande une œuvre de théâtre, à la concentration de pensée qui fait les œuvres philosophiques. La femme est mémorialiste, car elle se raconte dans ses mémoires. Mais on n’en connaît pour ainsi dire point qui soient de véritables historiennes.

  • Nous n’avons pas, écrit M. Larnac, une historienne

comparable à Augustin Thierry ou à Michelet. C’est qu’il faut pour cela non seulement une multitude de connaissances — les femmes ont montré qu’elles pouvaient les acquérir — mais encore et surtout un esprit critique dégagé de toute passion pour séparer dans l’amas des choses apprises le certain du conjectural ; une raison exercée pour apercevoir les mille liens qui unissent entre eux les événements ; un jugement sûr pour les apprécier en dehors de toute préférence sentimentale. Il faut enfin, pour embrasser toute une époque d’un regard, une faculté de généralisation fort rare et d’autant plus difficile à maîtriser que le nombre des documents accumulés a été plus considérable. »


M. Larnac note encore justement qu’aucun philosophe féminin n’a retenu notre attention : « On connaît des femmes qui ont su profiter des leçons de leur maître, comme Hypathie ; d’autres qui ont écrit des maximes comme Mme de Sablé ; d’autres qui ont composé des pensées comme Mme Swetchine ou Louise Akerman. On n’en connaît aucune qui ait construit un système philosophique, aucune qui ait produit rien de semblable au Discoure de la Méthode ou aux Pensées de Pascal. »

L’auteur tire de ses conclusions particulières une conclusion d’ensemble dont il fait une solution du féminisme littéraire. La femme-écrivain, dit-il, ne doit pas chercher à copier l’homme : « Copier, c’est reconnaître une supériorité. Or l’homme n’est pas plus supérieur à la femme que la femme ne lui est supérieure. À l’un le domaine de l’abstraction et des raisonnements suivis. À l’autre, celui de l’émotion. Chacun porte en soi les éléments d’une incontestable originalité. C’est parce qu’elles ont parfaitement pressenti ce fait que nos plus grandes femmes-écrivains ont atteint au talent, parfois même au génie. Et c’est en s’appliquant à développer les éléments de cette originalité que les femmes des générations qui viennent révéleront dans toute sa plénitude le génie féminin. Nulle femme n’a pu composer le Discours de la Méthode. Mais aucun homme n’aurait pu écrire les Lettres de Mme de Sévigné ou certaines pages de Mme Colette et de Mme de Noailles. »

Ces lignes de bon sens sont d’une vérité d’hier, peut-être encore d’une vérité d’aujourd’hui. Il n’est pas sûr qu’elles soient une vérité de demain. Il apparaît bien que, présentement, dans les universités où leur nombre égalera bientôt celui de leurs camarades masculins, les femmes se font un cerveau tout à fait semblable à celui des hommes. Il peut en résulter, dans le domaine de la discipline technique et de l’expression, toute une évolution féminine. Et il ne serait pas impossible que dans vingt ans d’ici, c’est-à-dire le temps d’une génération, M. Jean Larnac jugeât utile de modifier sensiblement ses conclusions sur les limites de la femme-écrivain.

Ajoutons que le même critique nous donne sur Colette, sa vie et son œuvre (Kra, édit) une lucide et substantielle étude.

La Bibliographie mistralienne.

À la bibliographie mistralienne de 1930 ne pouvait pas ne pas se joindre un livre de M. Charles-Brun, l’inlassable et éloquent animateur de la Fédération régionaliste française. Cette étude a été publiée dans une édition de luxe du Monde moderne sous ce titre : Mistral, précurseur et prophète. On ne trouvera dans ces pages ni glanes biographiques, ni anecdotes sentimentales et pittoresques. On n’y cherchera pas davantage une étude critique. Les poèmes de Mistral n’y sont cités que pour les idées qu’ils traduisent avec magnificence. L’épigraphe inscrite au seuil de cette étude et empruntée à MM. Ernest Gaubert et Jules Véran : « L’œuvre de Mistral est riche de plus d’avenir encore que de passé », donne le sens des commentaires.

M. Charles-Brun a voulu peindre un Mistral tourné vers l’avenir alors que l’opinion courante en a fait trop souvent un tenant du passé, un ennemi des progrès modernes : « L’attachement religieux au passé pour toute chose, écrivait, il y a plus de trente ans, M. Edouard Comte, voilà le secret de la ferveur provençale de Mistral. Il est né avec la piété du passé. Pour lui, rien de vivant que ce qui n’est plus, ce qui tend à n’être plus. » Cela, réplique M. Charles-Brun, n’est pas exact. Sans doute,