Page:Tinayre - L Ennemie intime.pdf/85

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

du passé. Mistral retient la simplicité, le travail dans la joie, le bonheur d’une existence appliquée et que de vains désirs ne tourmentent point ; en somme, le contact avec la nature, l’acceptation des lois naturelles, la bonhomie, la variété, le pittoresque. Mais l’erreur serait lourde d’enfermer la philosophie de Mistral dans un sentiment de regret. Le passé, ce fut le point de départ, le propulseur. À la lueur du passé, Mistral va maintenant voir et éclairer l’avenir. Il « couve la foi d’une renaissance ». Et voilà le sujet du livre, lequel est une mise au point d’un cours professé au Collège des sciences sociales et traite, en sept chapitres saisissants, de « la Renaissance régionaliste », du « Barrésisme », de « la Pédagogie moderne », du « Décor de la vie », du « Mysticisme linguistique », du « Fédéralisme international », de « la Civilisation spirituelle ». Un livre d’idées d’une écriture précise, vigoureuse et convaincante et qu’il faut avoir tu si l’on veut prendre part à la discussion mistralienne.

M. Marcel Coulon (Dans l’univers de Mistral, N. R. F.) nous dit pourquoi et comment Mistral est devenu le premier folkloriste de France.

Parce que « le Sage » n’a pas quitté son village natal, parce qu’il a écrit à Maillanne tous ses livres, il est devenu le plus régionaliste des poètes. Son œuvre est une, écrit M. Marcel Coulon : f Elle tourne, sans s’écarter d’un point, autour de l’axe du régionalisme.» La nature, que les romantiques avaient découverte, mais f exploitée avec timidité » et subjectivement. Mistral, de la manière la plus objective et la plus impartiale, va en perfectionner la description. Il la voit en paysagiste, mais aussi en géographe. Et il lui devra des chefs-d’œuvre.

Avec le même art, il traitera, d’ailleurs, tous les thèmes de la poésie universelle : Dieu, la patrie, l’amour, la mort, la paix, la famille, la tradition, la réalité, le rêve, la légende, l’histoire (les Iles d’or). Et, pour mieux faire ressortir le génie de Mistral, M. Coulon étudie, dana le texte, Mireille et Calendal II cite abondamment, il traduit, il analyse, il explique. De la vie à la mort, du plus grand au « plus petit chef-d’œuvre », l’auteur parcourt ainsi tout l’univers de Mistral, que M. Jean Blavet, d’autre part (F Heure de Mistral, Rieder, édit), nous présente comme un homme d’organisation et de méthode, « félibre clairvoyant », promettant au monde un plan d’entr’aide et d’amitié, le génie de la langue conférant à certaines déclarations de Mistral l’étrange prestige des prophéties antiques.

Prose d’almanach réunit les premiers chants provençaux de Mistral, tout ensoleillés de l’humour du conteur. M. Pierre Devoluy, qui nous fit connaître ces pages dans une traduction fidèle, a terminé sa tâche d’exact adaptateur en nous donnant la Dernière prose d’almanach du grand poète d’oc qui a inspiré à M. Albert Thibaudet (Mistral ou la République du soleil} ces lignes à citer et à retenir : « Un poète n’écrit pas la langue que les hommes parlent… Il écrit la langue que les hommes parleraient s’ils étaient des génies ou des anges. Le provençal du poète de Maillanne est donc provençal du ciel. »

Les Œuvres lyriques étrangères.

Les traducteurs et les éditeurs français réalisent un louable effort pour nous rapprocher des poètes étrangers que nous connaissons si peu ou si mal et dont les œuvres — comme tout ce qui est verbe et lyrisme — risquent de perdre tellement de leurs richesses en passant dans une autre langue.


Une Anthologie des poètes néo-grecs nous est présentée par M. Jean Michel (Messein, édit) pour la période de lettres qui va de 1886 à 1930. Un avant-propos de Mme  la comtesse de Noailles célèbre l’Hellade et « les fils de la race insigne », tandis qu’une préface de M. Philéas Lebesgue dit l’opportunité de ce travail, « le premier capable de nous donner une image complète de la résurrection du lyrisme en Grèce ». Dans ce volume, nous ne trouvons pas moins d’une quarantaine de noms de poètes représentatifs de diverses écoles, mais apparentés par l’harmonie attique qui les relie aussi à leurs grands devanciers.

L’Italie est magnifiée dans le symbolisme frémissant des Poésies d’Agostino J. Sinadino (Edit de la Jeune Parque, Sénac, Mit, Paris). Les vers français ou les proses rythmées de ce poète italien révèlent, par leur exaltation et leur préciosité, l’influence de d’Annunxio.

De Pologne nous recevons un Laurier olympique du jeune poète Kazimierz Wierzinski (Gebethner et Wolff, Paris), poèmes vibrants de la trépidation moderne, ivres de l’ivresse du sport symbolisé par l’un de ces beaux athlètes antiques dont la course affectait le geste d’un envol et dont le bras tendu semblait défier l’infini. M. Fernand Divoire présente ces poèmes traduits par Mlle  Thérèse Koerner.

M. Louis-Joseph Foti qui dirige une collection des Chefs-d’œuvre de la littérature hongroise a traduit lui-même un recueil des œuvres du regretté poète magyar André Ady (Librairie française, Budapest). Ady fut un grand passionné de l’amour et un fervent apôtre du culte de la patrie. Sa vie, relativement courte (1877-1919), fut consacrée à ces deux entités. Il restera l’une des incarnations de son pays dont il semblait avoir épousé l’âme.

Une copieuse Anthologie des poètes tchèques réunit enfin, grâce à M. H. Jelineck (Édit Kra. Paris), des fragments d’œuvres où des naïvetés de primitifs se mêlent à des audaces curieuses. Et là encore nous assistons à l’intéressante évolution d’un peuple qui, après avoir subi les empreintes étrangères, cherche à s’en libérer et tend vers une renaissance nationale de son esprit.


Études romanesques.

M. André Jouglet nous donne dans les Aventuriers (Calmann-Lévy, édit) des variations curieuses et captivantes sur le vieux thème rhénan. Les aventures imaginées par le conteur semblent animées par tous les courants de l’âme germanique et paraissent renouer en elle et par elle la chaîne qui unit l’Allemagne de 1930 à la vieille Allemagne fantastique et poétique du moyen âge.


Dans la « Collection pour jeunes femmes et jeunes filles » (Fayard, édit, 5 fr.), Mlle  Lya Berger publie son nouveau livre : l’Impasse. Un jeune homme s’est fiancé à une jeune fille qu’il aime sans amour. Il songe à se libérer pour aiguiller ailleurs son destin. Mais, au moment où il va envoyer sa lettre de rupture, il apprend que sa fiancée, victime d’un grave accident, restera, certainement infirme. Cruel problème de conscience : l’impasse. Et pour sortir de cette impasse, il faut toute la subtilité généreuse d’une psychologie féminine.

Mlle  Lya Berger, qui enrichit toujours d’idéal et de raison ses très captivantes études romanesques, se penche sur les cœurs qui oscillent entre le devoir et l’amour et note avec allégresse les redressements, même cruels, que leur permet le destin.



Le Directeur : René Baschet. — Imp. de L’Illustration, 13, rue Saint-Georges, Paris-9e (France). — L’Imprimeur-Gérant : Th. Huck.