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L’ENNEMIE INTIME


par MARCELLE TINAYRE


Cette scène avait bouleversé Geneviève qui passa une mauvaise nuit. Elle avait des braises dans la gorge. À l’aube, elle s’endormit. Renaude Vipreux la réveilla.

— Il est 10 heures. Je me suis permis d’entrer. Madame ne m’a pas entendue.

— Je suis malade. Je crois que j’ai une angine. Faites chercher le docteur, je vous prie.

— J’y vais moi-même. Que Madame reste tranquille sous ses couvertures. Mélanie allumera le feu et sera aux ordres de Madame jusqu’à mon retour.


« C’est pourtant une bonne personne », pensa Geneviève.

M. Bausset examina la malade, écrivit une ordonnance et dit qu’il reviendrait dans la soirée.

— C’est une angine de rien du tout. Mais cela fatigue, une angine de rien du tout. La température monte, monte… Il faut suivre mes prescriptions, rester au chaud, ne pas s’agiter, ne pas parler.

Seul avec Renaude, il fut moins optimiste.

— L’état général de Mme Alquier ne me plaît pas. Elle a beaucoup maigri. Sa tension est basse. De toute façon, elle devra garder le lit plusieurs jours. Ce sera une complication pour vous, chère mademoiselle. Demandez donc une garde à l’hospice.

— Non, docteur. Je soignerai Mme Alquier moi-même.

— Ah ! vous êtes dévouée, vous ! Toujours sur la brèche ! Ménagez vos forces. Vous êtes tellement précieuse à la famille Capdenat. Aussi, vous avez l’estime de tous.

— Le témoignage de ma conscience me suffit. Ne craignez pas que je manque de forces, Dieu y pourvoira.

Geneviève passa la journée dans une somnolence entrecoupée de réveils brusques. Le soir, Renaude Vipreux ne voulut pas quitter la malade.

C’était la nuit de la Saint-Sylvestre. À minuit, comme Geneviève demandait à boire, la gouvernante lui dit :

— J’aurai donc souhaité la bonne année à Madame, moi la première. Bonne année et bonne santé.

— Pour vous aussi, murmura Geneviève.

Et elle toucha la froide petite main aux gestes rapides et anguleux.

« Bonne année. » Comme ces deux mots peuvent faire mal quand ils réveillent la souffrance du cœur qu’avait emportée le fleuve de feu de la fièvre.

Le matin est venu, blanc de neige.

— Madame est bien mieux, dit Renaude. Un peu de bouillon de légumes ?

— Un peu.

— Et puis la toilette. M. Capdenat montera voir sa fille. Il faut qu’il la trouve bien coiffée… Je brosserai les cheveux de Madame… Oh ! comme ils tombent ! Madame est anémique. On ne le dirait pas, parce que Madame met du rouge, mais, sans rouge…

— Vous me trouvez très changée ?

— Nous changeons tous et chaque jour… À trente ans passés, c’est encore bien joli d’être comme Madame.

Geneviève regarde la neige sur les branches noires du platane. Une clarté d’un blanc bleu pénètre la chambre où tout paraît jaunâtre et sali.

Renaude descend, remonte, infatigable.

Elle apporte un journal. C’est le Petit Écho du Rouergue.