Page:Tinayre - La Chanson du biniou, paru dans Le Monde illustré, 1890.djvu/12

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il y reprit bientôt sa place, car le chant naïf, tout en tons mineurs et en triolets comme les airs de l’autre siècle, s’éleva, grandit et gémit passionnément au seuil même de la maison… Quand le jeune homme se pencha sur l’appui branlant de la fenêtre, le musicien avait déjà remis sous son bras le sac dégonflé de l’instrument et il chantait sans accompagnement une lamentable complainte.

Il chantait et ses yeux bleus, clairs dans sa figure hâlée, exprimaient bien le rêve de mystique et douloureuse poésie qui est l’âme de ce pays. Ses cheveux traînaient sur sa veste neuve, de vrais cheveux d’enfant, blonds comme le chanvre et lisses, lisses, à tel point qu’ils formaient de chaque côté du visage une masse compacte, comme chez les varlets du moyen âge. Le regard fixe, il chantait.

Près de lui, si rouge et si rond qu’on l’eût volontiers rêvé barbouillé de lie et foulant les grappes mûres sur le chariot de Thespis, un joueur de bombarde fredonnait en contre-basse et marquait la mesure avec son instrument. Comme son camarade il portait, piqué au revers de la veste et sur le feutre du chapeau, un flot de rubans multicolores. Robert pensa : Ce sont des conscrits.

Mais la porte de la maison s’ouvrit devant Maria-Josèphe le Bihan qui s’en allait à l’office, toute belle dans ses atours. Et le chanteur se tut brusquement, devenu pâle. Elle vint à lui cependant, avec un sourire qui démentait l’indifférence de ses yeux.

— Et où allez-vous donc comme ça, Yann Lebrenn ? Est-ce à un baptême ou bien à une noce ?