Page:Tinayre - La Chanson du biniou, paru dans Le Monde illustré, 1890.djvu/3

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II


Robert Léris la subissait aussi, cette impression de tristesse, inévitable par la grise matinée où, dans le mauvais char à bancs conduit par un garçonnet en grand chapeau et en veste courte, il se dirigeait vers Carnac. Il regrettait déjà l’idée qu’il avait eue, — au mois de juillet et quand les chaleurs de l’été dispersaient dans les pimpants casinos toutes les élégances parisiennes — d’aller visiter en modeste touriste et pour l’amour de l’art, les landes célèbres où le peuple de pierre des menhirs attend encore le savant historien qui dira l’énigme de son origine et le mystère de sa destinée. Robert Léris n’osait s’avouer à lui-même combien il était déçu… et secrètement furieux. Le dolmen de Kergavat, aperçu sur sa gauche, et que le conducteur lui nomma avec le traînant accent breton, intéressa médiocrement le voyageur désabusé. Le vent du large était si froid qu’il boutonna son paletot et assura sur sa tête un chapeau de feutre brun posé en arrière avec une négligence voulue qui décelait l’artiste — comme l’album de toile grise dépassant la poche de Robert et l’expression particulière de sa physionomie, ce je ne sais quoi d’insouciant et d’absorbé à la fois que donnent la vie indépendante des grandes villes et l’habitude d’une observation perpétuelle des choses, soit au point de vue de l’impression morale qui s’en dégage, soit au point de vue matériel de