Page:Tinayre - La Chanson du biniou, paru dans Le Monde illustré, 1890.djvu/31

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pression du peintre, en arrivant dans le Morbihan, était faite de déception et de malaise ; Robert s’en étonnait aujourd’hui, tant le même paysage revêt d’aspects divers, suivant la diversité du temps, du ciel et de nos états d’âme.

Au pied du tumulus où s’élève une chapelle dédiée à saint Michel, une ligne d’azur s’ourlait de neige éclatante, le long de la côte, tandis qu’à gauche, sur les collines, ondulaient les sapinières et les châtaigneraies de Kercado. La terre crevassée brûlait sous les pieds, par cet après-midi de chaleur torride. Les vaches se couchaient dans les pâturages et les pâtres ensommeillés cherchaient la fraîcheur dans l’étroite bande d’ombre des haies. De temps en temps, un souffle venait de la mer, remuant l’air en flamme, et soulevait la coiffe de Maria-Josèphe qui marchait, pensive, près de Robert.

Ils contournèrent le moulin abandonné et s’arrêtèrent à l’entrée des alignements du Ménec, éblouis de lumière, accablés de chaleur, troublés peut-être par leurs pensées. Et comme ils regardaient les masses confuses de Kermario, de l’autre côté de la route, un paysan, blanc de poussière, le bâton à la main, le biniou sous le bras, les croisa, venant de la ferme. Maria-Josèphe devint très rouge… Cependant, elle parla, par politesse :

— Et vous allez, Yann ?…

— Je vais à Kerloquet. Je rentre chez moi, répondit-il en français. Et plus bas, en breton, regardant Robert, il ajouta :

— Dieu vous garde.

Puis il passa.