Page:Tinayre - La Chanson du biniou, paru dans Le Monde illustré, 1890.djvu/48

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permis de venir comme ça, chez les gens, avec ces idées, et de prendre le cœur d’une pauvre enfant qui ne sait rien, qui n’a rien fait de mal, de se mettre de force dans sa pensée, dans son âme, et puis de la laisser morte à moitié parce qu’elle tient à son honneur… Ah ! oui, l’honneur des femmes ! Est-ce que ces gens-là s’en soucient ?… Pas plus que d’un chiffon !… Et elle répétait entre ses dents serrées : « Menteur, menteur, misérable !… »

Et pourtant elle l’avait aimé… Oh ! si elle avait pu s’arracher de la poitrine le cœur qui avait contenu un tel amour !… Cette idée de son amour perdu, de son rêve fini, souillé, traîné dans la honte de cette ridicule et triste méprise, la frappa plus douloureusement que l’humiliation. Et elle se mit à gémir, sanglotant parfois tout haut, la tête dans ses mains, avec des lambeaux de prière, saisie d’une détresse affreuse, épouvantable, dans la noire solitude de cette nuit.

Autour d’elle, les menhirs s’alignaient, tels qu’elle les avait vus, au jour, avec Robert. Mais sous ce ciel bas et brumeux, d’où tombait une clarté blafarde, très faible, dans la nuit déserte où rien, ni bruit, ni lueur, ne rappelait qu’il existât des hommes, les vieilles pierres grandissaient, entrevues dans l’ombre et prenaient un air menaçant. Que de pierres !… Il y en avait partout. Le granit, dans