Page:Tinayre - La Chanson du biniou, paru dans Le Monde illustré, 1890.djvu/58

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léger, de cette onde. On descend le ravin dans la bruyère courte d’où sortent çà et là des blocs de granit et, comme des îlots de verdure, d’énormes ajoncs si serrés, si touffus, qu’ils semblent feutrés tant ils croissent drus à la hauteur d’homme. Plus bas, des mûriers sauvages accrochent les vêtements comme pour inviter les rares voyageurs à goûter leurs mûres au délicat parfum qui pendent, noires et sanglantes, dans un frêle lacis de branches sous la dentelle des feuilles découpées.

Des liserons dont la teinte indécise semble hésiter du bleu mauve au rose pâle égayent la sévérité des troncs ; le lierre court d’arbre en arbre, plantant jusqu’aux sommets ses racines aériennes. La ciguë aux parasols blancs, la clochette allongée des gentianes indigo, les légers panaches des roseaux, gracieux comme des touffes de plumes blondes, remplacent, à mesure qu’on descend vers le ruisseau, la flore sèche et sans parfum des landes. C’est le triomphe des grandes fougères, des iris, des joncs, de toutes ces plantes vivaces qui sont la joie des coins humides. Parfois, une fillette aux pieds nus, aux yeux sauvages, passe, traînant sa jupe déchiquetée ; elle va, entre de gras pâturages où pleuvent les pommes mûres, vers les monumentales avenues des châtaigniers de Kercado. Une lavandière bat son linge au lavoir tout proche. Essayez de leur parler : elles fuiront peut-être, ne comprenant pas ; puis, avec un bonjour timide en breton, elles lèveront sur vous leur bleu regard voilé de