Page:Tinayre - La Chanson du biniou, paru dans Le Monde illustré, 1890.djvu/62

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dire autre chose que « Ah ! je vous aime tant !… vous ne serez pas trop malheureuse, vrai, dites, bien vrai ?… » Et puis il était monté au grenier, soi-disant pour dormir, la laissant seule… Et toute la nuit elle l’avait entendu marcher de long en large comme un homme qui souffre. Quelle nuit aussi, pour elle, quelle nuit d’insomnie, de fièvre, adoucie pourtant par l’idée qu’elle n’était plus seule à connaître, à porter sa peine, et qu’un ami — le meilleur de tous et le plus noble, — veillait là-haut, pensant à elle, l’entourant de respect et d’amour.

Comment avait-elle pu s’habituer à cette vie ?… C’est étrange, comme tout passe, même les douleurs dont on a cru mourir ! Après des jours et des jours, son désespoir était devenu de la tristesse, sa tristesse de la mélancolie, et sa mélancolie, maintenant se fondait en gravité douce et presque sereine… Quoi ! vraiment, son cœur tant malade guérissait-il et sa blessure était-elle si bien cicatrisée par le mépris, l’absence, le changement de sa vie, qu’elle ne lui faisait plus mal du tout ? Elle se reprenait à aimer les champs, les bois, les fleurs, la musique d’Yann… Hier, elle avait ri ; ce matin, il l’avait surprise chantant. C’est donc vrai qu’on oublie et qu’on se console !…

C’est égal, sans Yann, que serait-elle devenue ?