Page:Tinayre - La Douceur de vivre.djvu/101

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des draps à dentelle ! — et commandé le dîner… car nous dînons à part, les autres pensionnaires n’étant pas dignes de nous être présentés.

Nous arrivâmes. Un garçon de seize ans, maigre comme un chat de campagne, saisit une des malles et l’emporta sur son dos. Je crus qu’il allait périr écrasé. Salvatore me rassura : « C’est un de mes modèles : un corps d’acier, tout en nerfs et en muscles… Il gagne quelques sous à porter des bagages… et, le reste du temps, il fait le voyou sur le port, parce que de travailler ça le fatigue !… Il a une force inouïe, mais elle est dans sa tête, vous comprenez, dans sa volonté… Alors, ça ne dure pas. Ça ne vaut que pour un effort… » Le garçon d’acier, ayant déposé la malle sur le palier du second étage, tendit la main. Papa donna une demi-lire. Aussitôt, le visage du garçon prit une expression tragique : la surprise, la colère, la douleur, l’effroi, se peignirent sur ce masque de voyou malicieux… Papa voulut ajouter un sou. Mais Angelo interpella le porteur mécontent qui retrouva instantanément son sourire, mordit la pièce pour l’éprouver, et s’en alla en sifflant…

Le vestibule de l’appartement était sombre, et une seule lampe brûlait devant un tableau représentant saint Antoine. Une grosse femme échevelée, au profit classique, ceinte d’un tablier