Page:Tinayre - La Rancon.djvu/91

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l’autre, lentement, dans une bien sombre nuit. À travers les limbes de l’enfance, les troubles de la jeunesse, les durs labeurs de la maturité, il était venu à Jacqueline. Les épreuves, jadis maudites, l’avaient préparé pour cette joie ; il l’eût moins bénie et moins bien goûtée s’il avait moins souffert. Il pouvait dire enfin : « Voilà celle que j’attendais, celle qu’on ne trouve pas deux fois. Mon cœur l’avait pressentie ; ma bouche la reconnaît… »

— Aimez-moi ! disait-elle, aimez-moi, je n’ai que vous au monde.

Il ne songeait pas à s’étonner, à lui répondre qu’elle avait un mari et un enfant, car en disant : « Je t’aime » à un être, on remet dans ses mains toutes les chances du bonheur et du malheur. La tristesse du deuil récent planait encore sur Étienne, mais il ne se révoltait plus. Sans projets, sans espoirs, il s’abandonnait à la certitude, et remords, doutes, angoisses, tout le mauvais rêve du passé s’évanouissait sous les lèvres de l’amante, « parce que, dit l’Écriture, l’amour est plus fort que la mort ».