Page:Tinayre - La Rebelle.djvu/210

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» Il faut que je vous confie une impression étrange que j’ai, depuis quelques jours… Je ne me reconnais plus moi-même !… C’est très difficile à expliquer… Ainsi j’éprouve un sentiment nouveau devant les choses qui me rappellent ma vie passée… Je les aime, je les respecte, mais elles ne font plus partie de moi : elles se détachent, elle s’éloignent !… Est-ce une illusion de ma conscience ? Est-ce l’œuvre inévitable du temps ?… J’ai des heures de brusque rajeunissement où je retrouve les sensations de ma quinzième année. Je découvre l’univers, et j’en suis toute ravie… Vraiment, je ne savais pas que le mois de mai fût si beau, et que le rosier qui grimpe autour de ma fenêtre pût me mettre le cœur en joie par la vertu de son parfum…

» Ne riez pas trop de ces extravagances de pensionnaire. À qui les dirais-je, sinon à vous ?… Vous me retrouverez, sans doute, à Paris, telle que vous m’avez connue, — un peu moins pâle, un peu plus gaie, seulement.

» À Paris ! Dans trois jours… Je vous présenterai mon petit Claude. Aimez-le, je vous en prie. Je voudrais tant que sa grâce et son innocence pussent vous toucher le cœur !…

» Où êtes-vous, à cette heure ci ?… Avez-vous dîné, ce soir, chez Mariette ?… Dites-moi tout ce que vous faites, puisque je vous dis tout ce que je fais. Quand je ne vous vois pas vivre, nettement, il se creuse un trou noir dans ma pensée, et je suis triste jusqu’à ce qu’il m’arrive une lettre de vous.

» Bonsoir, mon cher ami.

» JOSANNE. »