Page:Tinayre - La Rebelle.djvu/339

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Là, ils se divisaient, mais les plus grosses bandes remontaient par le faubourg Saint-Antoine ou la rue de la Roquette. Et Josanne, rêvant à des phrases de Michelet et de Hugo, regardait le vieux pavé, arraché tant de fois pour les barricades.

Elle se rappela un autre quartier, moins bruyant et plus misérable, où, naguère, elle vivait parmi les femmes du peuple… Elle revit la rue Tournefort et le bas de la rue Lhomond, que hante le fantôme du père Goriot ; la rue Mouffetard, qui sent le chou, le poisson et l’absinthe, quand, la nuit venue, flambent les zincs des « assommoirs »… Elle revit la petite lucarne de Jean Grave, qu’elle regardait en passant, et la vieille église janséniste où le diacre Pâris repose sous une dalle… Elle revit la marchande de pommes de terres, toujours enceinte, et la crémière blonde, et la boutique du boucher… Elle se revit elle-même, frissonnante sous sa mince jaquette, le bras tiraillé par le filet à provisions, le cœur opprimé par l’éternel, le vulgaire, l’ignoble, le tragique souci d’argent… Et elle eut envie de pleurer sur la Josanne de ce temps-là, qui était pauvre, et pas aimée…

Elle la retrouvait, — la Josanne de ce temps-là, — dans les femmes qui passaient sous la fenêtre, ouvrières pâlottes, en cheveux, institutrices et employées aux robes noires, aux petits cols blancs, au « canotier » correct et simple, — les travailleuses… Elle s’attendrissait sur ces jeunes vies féminines, si mornes, si vaillantes, où l’amour luit parfois comme un éclair… Et, songeant à Noël qui avait transformé son existence, elle se disait :

— Comme je devrais être heureuse !…