Page:Tinayre - La Rebelle.djvu/99

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qui ne savaient où mettre leur serviette de cuir gonflée de copies…

Ces clients habituels de Mariette avaient un air de famille. De même qu’on reconnaît les bureaucrates, les « calicots », les gens d’affaires et les gens du monde, on reconnaît, à certains détails du vêtement, de l’attitude et de la physionomie, les types ordinaires du « prolétariat intellectuel » : c’est telle coupe de barbe un peu démodée, des cheveux taillés en brosse ou laissés trop longs, une manière de parler, de gesticuler, de nouer la cravate et de porter le binocle… Et si l’on voyait chez Mariette, parmi de charmantes figures adolescentes, beaucoup d’autres figures creusées, rageuses et bilieuses, des crânes chauves, des bouches amères, de grands corps déjetés et mal nourris, on y voyait moins que partout ailleurs les visages sans caractère, d’une correcte banalité, les faces ovines ou bovines, les yeux qui ne voient rien, et n’expriment aucune pensée…

Les femmes, qui venaient là en grand nombre, étaient presque toutes des étrangères, étudiantes ou artistes pensionnées par leur famille, et qui vivaient parfois par groupes dans le même atelier. Quelques Russes avaient des cheveux coupés, des feutres masculins et des lunettes. Les Scandinaves et les Allemandes, fortes Valkyries aux tresses blondes, préféraient le costume « réforme », — long paletot et robe à taille courte sur le corset-brassière. — Parfois, des « esthètes » surgissaient, peintresses américaines ou modèles de Montparnasse travesties en Béatrices par la fantaisie d’un amant ; et les dîneurs s’effaraient devant les béguins à paillettes, les manches à crevés,