Page:Tinayre - La Vie amoureuse de madame de Pompadour.pdf/51

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que la belle s’est enfuie, laissant tomber aux pieds du Roi un petit mouchoir de dentelle. Louis XV le ramasse, cherche Mme d’Étiolles, l’aperçoit de loin et lui lance adroitement le chiffon symbolique. Un murmure s’élève : « Le mouchoir est jeté… » Et pendant que le Roi va se délivrer de son habit trop lourd, la dame en rose, tremblante de son triomphe, demande sa voiture et s’en retourne à Paris.

À quoi songe-t-elle en regardant, par les glaces du carrosse, le Château tout illuminé s’éloigner dans la nuit d’hiver ? Se dit-elle qu’elle y rentrera un jour, par la grande porte, en maîtresse déclarée et non plus en solliciteuse furtive ? Se souvient-elle de ses origines pour mesurer son élévation et de son mari pour en repousser l’image triste et gênante ? Pense-t-elle à la prédiction de la sorcière qui lui annonça qu’elle serait « presque reine » ? Est-elle troublée, non dans sa chair frigide, mais dans son cœur ignorant de l’amour ? Du remords, elle n’en a pas, puisqu’elle est sûre d’accomplir sa destinée, puisque l’heure qui sonne et qui décide de tout son avenir était marquée depuis son enfance, et que les années de sa jeunesse n’ont servi qu’à préparer cette heure-là ? Aucun scrupule religieux