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L’HÉROÏSME FÉMININ

son amant, dont elle a fait son dieu. Tout intérêt, tout désir, tout sentiment étrangers à son amour sont supprimés de sa vie. Elle est, comme Juliette, l’amour exclusif, réduit à lui-même, se nourrissant de lui-même.

L’histoire a semblé, ami lecteurs de 1842, une invention romanesque.

Bien probablement, Balzac savait ce que tout le monde savait des amours de Victor Hugo : peu de chose. Y a-t-il pensé en créant l’admirable figure d’Esther ? Ce n’est guère probable.

Il y a parenté d’un ordre différent, entre Juliette et cette martyre du génie masculin : la comtesse Tolstoï. Celle-là aussi, jeune et belle — et virginale — s’est donnée totalement à un homme qui dépasse l’ordinaire humanité. Elle a vécu dans son ombre, pour le soigner et le servir. Elle a été jalouse jusqu’à la folie ; et l’âge même n’a pas diminué, dans le dieu qu’elle adorait, de bestiales exigences physiques. Cependant, quelles différences et s’il fallait décider qui, de l’une ou de l’autre femme, a eu la meilleure part, la réclusion amoureuse de Juliette paraîtrait un paradis, comparé à l’esclavage conjugal de