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la femme et son secret

pauvre petit trésor caché, méconnu, stérile, a disparu. Elle est solide, prosaïque, économe, ambitieuse pour ses enfants, dure aux jeunes hommes qui dilapident leur héritage et aux jeunes femmes qui ne se contentent pas d’un excellent mari comme le sien.

Quelquefois, elle parle du passé, du beau voyage qu’elle a fait en Italie. Les gens qui ne sont pas allés, qui n’iront jamais à Venise, lui disent :

« Comme vous avez dû être heureuse ! »

Elle murmure :

« Ah ! Venise !… Venise !… »

Et les jeunes filles, en l’écoutant, rêvent du Grand Canal, du Campanile, des gondoles où l’on s’étend, à côté d’un mari amoureux. Car il y a encore des jeunes filles sentimentales, comme il y a des femmes à longs cheveux. Elles existent, mais on n’en parle pas.

Croyez-vous que l’ancienne jeune femme en robe beige se souvienne de l’homme ennuyé qui lisait les journaux, sans mot dire, dans la salle à manger de l’hôtel ?

Non. À force de raconter le voyage d’amour qu’elle aurait voulu faire, elle croit réellement l’avoir fait. Ses souvenirs magnifiés composent