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Ils vécurent péniblement, éloignés des fonctions publiques et ne voulant pas servir le tyran. En 1805, Lucile du Fargeas, ayant pris conseil de son miroir, de sa bourse et de son confesseur, accepta pour mari Antoine Laroque-Duffargeas, — ex du Fargeas — qui reprit aussitôt la particule. Il n’en fut pas plus noble, mais sa femme en fut plus contente, car elle n’aurait pas voulu s’accorder à quelqu’un qui « venait de bas ». Cependant, les Noël de Fonard firent grise mine à l’époux de leur parente, parce qu’il avait un frère dans les armées de l’Usurpateur, un frère républicain, jacobin et « buveur de sang », lequel se moquait de la particule et signait « Martial Duffargeas ».

Antoine était un bel homme, pacifique et doux. Il aima Mlle de Fonard, et parce qu’il l’aimait, il la trouva belle et jeune. Elle crut peut-être, en le choisissant, payer une dette de reconnaissance. Il s’en contenta. La sensibilité emphatique du xviiie siècle, si opposée à l’esprit réaliste et raisonneur de l’éternel Chrysale français, commençait à passer de mode. On appréciera toujours, dans nos provinces, les maîtresses femmes qui savent gouverner leur ménage, et parfois gouverner leur mari. Lucile de Fonard était de celles-là. Violente, passionnée, de verbe haut, de mœurs sévères, sachant haïr autant qu’aimer et le sachant témoigner de même, « une