Page:Tite Live - Histoire romaine (volume 1), traduction Nisard, 1864.djvu/38

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ce lieu fermé aujourd’hui par une palissade qui se trouve à la descente du Capitole, entre les deux bois. Esclaves ou hommes libres, tous ceux qu’excitent l’amour du changement viennent en foule s’y réfugier. Ce fut le premier appui de notre grandeur naissante. Satisfait des forces qu’il avait conquises, Romulus les soumet à une direction régulière : il institue cent sénateurs, soit que ce nombre lui parût suffisant, soit qu’il n’en trouvât pas plus qui fussent dignes de cet honneur. Ce qui est certain, c’est qu’on les nomma Pères, et ce nom devint leur titre d’honneur ; leurs descendants reçurent celui de Patriciens.

IX. Déjà Rome était assez puissante pour ne redouter aucune des cités voisines ; mais elle manquait de femmes, et une génération devait emporter avec elle toute cette grandeur : sans espoir de postérité au sein de la ville, les Romains étaient aussi sans alliances avec leurs voisins. C’est alors que, d’après l’avis du sénat, Romulus leur envoya des députés, avec mission de leur offrir l’alliance du nouveau peuple par le sang et par les traités. « Les villes, disaient-ils, comme toutes les choses d’ici-bas, sont chétives à leur naissance ; mais ensuite, si leur courage et les dieux leur viennent en aide, elles se font une grande puissance et un grand nom. Vous ne l’ignorez pas, les dieux ont présidé à la naissance de Rome, et la valeur romaine ne fera pas défaut à cette céleste origine ; vous ne devez donc pas dédaigner de mêler avec des hommes comme eux votre sang et votre race. » Nulle part la députation ne fut bien accueillie, tant ces peuples méprisaient et redoutaient à la fois pour eux et leurs descendants cette puissance qui s’élevait menaçante au milieu d’eux. La plupart demandèrent aux députés en les congédiant : « Pourquoi ils n’avaient pas ouvert aussi un asile pour les femmes ? Qu’au fond c’était le seul moyen d’avoir des mariages sortables. » La jeunesse romaine ressentit cette injure, et tout sembla dès lors faire présager la violence. Mais, dans la pensée de ménager une circonstance et un lieu favorables, Romulus dissimule son ressentiment et prépare, en l’honneur de Neptune Équestre, des jeux solennels, sous le nom de Consuales[1]. Il fait annoncer ce spectacle dans les cantons voisins, et toute la pompe que comportaient l’état des arts et la puissance romaine se déploie dans les préparatifs de la fête, afin de lui donner de l’éclat et d’éveiller la curiosité. Les spectateurs y accourent en foule, attirés aussi par le désir de voir la nouvelle ville, surtout les peuples les plus voisins : les Céniniens, les Crustuminiens, les Antemnates. La nation entière des Sabins vint aussi avec les femmes et les enfants. L’hospitalité leur ouvrit les demeures des Romains, et à la vue de la ville, de son heureuse situation, de ses remparts, du grand nombre de maisons qu’elle renfermait, déjà ils s’émerveillaient de son rapide accroissement. Arrive le jour de la célébration des jeux. Comme ils captivaient les yeux et les esprits, le projet concerté s’exécute : au signal donné, la jeunesse romaine s’élance de toutes parts pour enlever les jeunes filles. Le plus grand nombre devient la proie du premier ravisseur. Quelques-unes des plus belles, réservées aux principaux sénateurs, étaient portées dans leurs maisons par des plébéiens chargés de ce soin. Une entre autres, bien

  1. En réalité Consualia (note Wikisource).