Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 1.djvu/12

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livres, discours publics, lettres particulières, notes fugitives ; on forme du tout un ensemble, d’où l’on extrait la physionomie particulière de l’auteur : comme ferait un sculpteur ou un peintre qui n’ayant plus le modèle sous les yeux, au moyen de traits épars recueillis çà et là, recompose une figure et crée encore un portrait fidèle.

Cette disposition du public est encore plus naturelle, quand celui qui la lui inspire s’offre à son souvenir sous des aspects plus divers ; lorsque l’écrivain dont la mémoire lui est chère a été tout à la fois homme de lettres et homme politique ; que, célèbre comme publiciste, il a joué un rôle dans l’État, et qu’il a, ne fût-ce qu’un instant, comme ministre tenu dans ses mains le pouvoir.

On aime à juger du même coup d’œil quelle influence eurent les spéculations du philosophe sur sa participation aux affaires ; si l’homme privé eut une autre morale que l’homme public ; comment il mit ses théories d’accord avec sa pratique et comment le penseur sut agir.

Alors on envisage l’écrivain sous toutes ses faces. On ne sépare point l’homme d’action du moraliste. Après avoir écouté le savant à l’Institut, on va l’entendre à la tribune. On juge ainsi le secours que les lettres prêtent à la politique, l’autorité que la pratique offre à la science et l’influence que la moralité privée exerce sur les vertus publiques.