Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 1.djvu/210

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et commode sont négligés en Amérique ; mais les garanties essentielles à l’homme en société y existent autant que partout ailleurs. Chez les Américains, la force qui administre l’État est bien moins réglée, moins éclairée, moins savante, mais cent fois plus grande qu’en Europe. Il n’y a pas de pays au monde où les hommes fassent, en définitive, autant d’efforts pour créer le bien-être social. Je ne connais point de peuple qui soit parvenu à établir des écoles aussi nombreuses et aussi efficaces ; des temples plus en rapport avec les besoins religieux des habitants ; des routes communales mieux entretenues. Il ne faut donc pas chercher aux États-Unis l’uniformité et la permanence des vues, le soin minutieux des détails, la perfection des procédés administratifs[1] ; ce qu’on y trouve, c’est l’image de la force,

  1. Un écrivain de talent qui, dans une comparaison entre les finances des États-Unis et celles de la France, a prouvé que l’esprit ne pouvait pas toujours suppléer à la connaissance des faits, reproche avec raison aux Américains l’espèce de confusion qui règne dans leurs budgets communaux, et, après avoir donné le modèle d’un budget départemental de France, il ajoute : « Grâce à la centralisation, création admirable d’un grand homme, les budgets municipaux, d’un bout du royaume à l’autre, ceux des grandes villes comme ceux des plus humbles communes, ne présentent pas moins d’ordre et de méthode. » Voilà certes un résultat que j’admire ; mais je vois la plupart de ces communes françaises, dont la comptabilité est si parfaite, plongées dans une profonde ignorance de leurs vrais intérêts, et livrées à une apathie si invincible, que la société semble plutôt y végéter qu’y vivre ; d’un autre côté, j’aperçois dans ces mêmes communes américaines, dont les budgets ne sont pas dressés sur des plans méthodiques, ni surtout uniformes, une population éclairée, active, entreprenante ; j’y contemple la société toujours en travail. Ce spectacle m’étonne ; car à mes yeux le but principal d’un bon gouvernement est de produire le bien-être des peuples et non d’établir un cer-