Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 1.djvu/222

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il n’entende invoquer l’autorité du juge ; et il en conclut naturellement qu’aux États-Unis le juge est une des premières puissances politiques. Lorsqu’il vient ensuite à examiner la constitution des tribunaux, il ne leur découvre, au premier abord, que des attributions et des habitudes judiciaires. À ses yeux, le magistrat ne semble jamais s’introduire dans les affaires publiques que par hasard ; mais ce même hasard revient tous les jours.

Lorsque le parlement de Paris faisait des remontrances et refusait d’enregistrer un édit ; lorsqu’il faisait citer lui-même à sa barre un fonctionnaire prévaricateur, on apercevait à découvert l’action politique du pouvoir judiciaire. Mais rien de pareil ne se voit aux États-Unis.

Les Américains ont conservé au pouvoir judiciaire tous les caractères auxquels on a coutume de le reconnaître. Ils l’ont exactement renfermé dans le cercle où il a l’habitude de se mouvoir.

Le premier caractère de la puissance judiciaire, chez tous les peuples, est de servir d’arbitre. Pour qu’il y ait lieu à action de la part des tribunaux, il faut qu’il y ait contestation. Pour qu’il y ait juge, il faut qu’il y ait procès. Tant qu’une loi ne donne pas lieu à une contestation, le pouvoir judiciaire n’a donc point occasion de s’en occuper. Il existe, mais il ne la voit pas. Lorsqu’un juge, à propos d’un procès, attaque une loi relative à ce procès, il étend le cercle de ses attributions, mais il n’en sort pas, puisqu’il lui a fallu, en quelque sorte, juger la loi pour arriver à juger le procès. Lorsqu’il prononce sur une loi, sans partir d’un procès, il sort complétement