Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 1.djvu/232

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Les Américains et les Anglais pensent qu’il faut traiter l’arbitraire et la tyrannie comme le vol : faciliter la poursuite et adoucir la peine.

En l’an VIII de la république française, il parut une constitution dont l’art. 75 était ainsi conçu : « Les agents du gouvernement, autres que les ministres, ne peuvent être poursuivis, pour des faits relatifs à leurs fonctions, qu’en vertu d’une décision du Conseil d’État ; en ce cas, la poursuite a lieu devant les tribunaux ordinaires. »

La constitution de l’an VIII passa, mais non cet article, qui resta après elle ; et on l’oppose, chaque jour encore, aux justes réclamations des citoyens.

J’ai souvent essayé de faire comprendre le sens de cet art. 75 à des Américains ou à des Anglais, et il m’a toujours été très difficile d’y parvenir.

Ce qu’ils apercevaient d’abord, c’est que le Conseil d’État, en France, étant un grand tribunal fixé au centre du royaume, il y avait une sorte de tyrannie à renvoyer préliminairement devant lui tous les plaignants.

Mais quand je cherchais à leur faire comprendre que le Conseil d’État n’était point un corps judiciaire, dans le sens ordinaire du mot, mais un corps administratif, dont les membres dépendaient du roi ; de telle sorte que le roi, après avoir souverainement commandé à l’un de ses serviteurs, appelé préfet, de commettre une iniquité, pouvait commander souverainement à un autre de ses serviteurs, appelé conseiller d’État, d’empêcher