Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 1.djvu/247

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dans l’histoire des sociétés, c’est de voir un grand peuple, averti par ses législateurs que les rouages du gouvernement s’arrêtent, tourner sans précipitation et sans crainte ses regards sur lui-même, sonder la profondeur du mal, se contenir pendant deux ans entiers, afin d’en découvrir à loisir le remède, et, lorsque ce remède est indiqué, s’y soumettre volontairement sans qu’il en coûte une larme ni une goutte de sang à l’humanité.

Lorsque l’insuffisance de la première constitution fédérale se fit sentir, l’effervescence des passions politiques qu’avait fait naître la révolution était en partie calmée, et tous les grands hommes qu’elle avait créés existaient encore. Ce fut un double bonheur pour l’Amérique. L’assemblée peu nombreuse[1], qui se chargea de rédiger la seconde constitution, renfermait les plus beaux esprits et les plus nobles caractères qui eussent jamais paru dans le Nouveau-Monde. Georges Washington la présidait.

Cette commission nationale, après de longues et mûres délibérations, offrit enfin à l’adoption du peuple le corps de lois organiques qui régit encore de nos jours l’Union. Tous les États l’adoptèrent successivement[2]. Le nouveau gouvernement fédéral entra en fonctions en 1789, après deux ans d’interrègne. La révolution d’Amé-

  1. Elle n’était composée que de 55 membres. Washington, Madisson, Hamilton, les deux Morris en faisaient partie.
  2. Ce ne furent point les législateurs qui l’adoptèrent. Le peuple nomma pour ce seul objet des députés. La nouvelle constitution fut dans chacune de ces assemblées l’objet de discussions approfondies.